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créée à M. le président de la république, et de mettre une fois de plus en présence deux politiques qui résument tout aujourd’hui. L’une de ces politiques dit : « Que les questions réservées soient résolues. » Organisez ce pouvoir que vous avez fondé, le repos des esprits l’exige, les intérêts le demandent. Il faut « assurer au pays par des institutions régulières le calme, la sécurité, l’apaisement dont il a besoin… De nouveaux délais pèseraient sur les affaires… » L’autre politique semble dire à M. le président de la république : Tenez-vous tranquille, ne faites pas attention ! Vous avez un uniforme, allez le montrer aux populations, cela suffit pour le moment, le reste nous regarde !

Soit ; on ne voit pas seulement qu’on n’arrive ainsi qu’à épaissir et à prolonger une équivoque des plus dangereuses, qui ne profite ni aux partis monarchiques, ni au septennat, ni à M. le maréchal de Mac-Mahon, ni surtout au pays, — qui ne sert en fin de compte qu’à favoriser cette propagande bonapartiste dont les succès se mesurent justement aux progrès de la confusion et de l’incertitude. Voilà le point délicat ; c’est là précisément qu’apparaît le lien intime entre les manifestations qui ont signalé le dernier voyage présidentiel et la dernière élection du Calvados. Évidemment cette élection d’un ancien préfet de l’empire, M. Le Provost de Launay, obtenant 41,000 voix tandis que le candidat républicain et le candidat légitimiste réunis restaient en arrière de 6,000 voix, cette élection est un succès bonapartiste, comme l’élection de M. Bourgoing dans la Nièvre, il y a quelques mois, était un succès bonapartiste. Ce qu’on a obtenu dans le centre de la France et en Normandie, on espère l’obtenir dans l’Anjou, où la lutte est déjà engagée, et dans quelques autres départemens à mesure que les scrutins s’ouvriront. Dans tous les cas, on est activement à l’œuvre ; les candidatures bonapartistes refleurissent ; l’empire, oubliant le mal qu’il a fait, rentre en scène avec la jactance d’un victorieux parce qu’il a réussi dans quelques élections.

Est-ce à dire que ces victoires partielles de scrutin aient une portée si sérieuse, qu’elles soient le signe d’une recrudescence impérialiste en France ? Nullement, le pays n’est pas bonapartiste, il n’a aucun goût pour l’empire ; mais il est fatigué d’incertitude et impatient. En définitive, que veut-on que pensent ces masses laborieuses à qui on demande un vote de temps à autre ? Elles ne vivent pas d’abstractions, on a raison de le dire, elles sentent simplement et elles ne remarquent qu’une chose, elles voient qu’un gouvernement a été renversé il y a quatre ans et que ce gouvernement n’a pas été remplacé. Non-seulement on ne l’a pas remplacé d’une façon définitive, mais depuis quatre ans les partis ne sont occupés qu’à s’épuiser en luttes stériles, à rivaliser d’impuissance, à se neutraliser mutuellement. Les monarchistes passent leur temps à décrier la république ; les républicains démontrent que la monarchie traditionnelle est impossible, et ils n’ont aucune peine à le démontrer,