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vœux. C’était peut-être par cela même un peu embarrassant. Que pouvait objecter M. le maréchal de Mac-Mahon lorsqu’on semblait lui renvoyer l’écho de sa propre pensée ? Il a cru devoir répondre au président du tribunal de commerce de Saint-Malo, qui venait de lui parler au nom des intérêts en souffrance : « Vous avez dit tout à l’heure qu’il n’y avait pas de gouvernement, vous vous trompez, il y en a un : c’est le mien. » Sans doute ce gouvernement existe, il est reconnu et accepté ; on réclame tout simplement l’organisation, la consolidation de ce pouvoir que le chef de l’état lui-même a plus d’une fois demandé inutilement à l’assemblée de régulariser et de compléter. Voilà précisément la question en face de laquelle M. le président de la république s’est trouvé, ne pouvant donner raison à ceux qui sont de son avis, qui lui offrent leur concours, de peur de blesser ceux qui prétendent être ses seuls amis, ses seuls appuis, en lui refusant les institutions les plus nécessaires à son gouvernement. C’est la contradiction intime qui pèse sur tout ce voyage.

La situation est assurément étrange. Ceux dont M. le président de la république reçoit l’adhésion, qui vont au-devant de lui, sont à peu près traités en ennemis, et ceux qu’il ménage sont les premiers à parler lestement de ce voyage en l’honneur du septennat. Les légitimistes ne se gênent guère pour répéter que l’accueil fait au maréchal a été froid, que jamais on n’avait vu si peu d’enthousiasme sur le passage d’un chef d’état. Ce septennat ne dit rien aux populations. « Quels services a-t-il rendus au pays ? quels services est-il capable de rendre ? Ce qu’il représente, c’est l’incertitude… » Mieux encore, un journal de l’ouest, qui passe pour avoir les rapports les plus intimes avec M. le ministre de l’instruction publique, n’y met pas plus de façons : il n’exagère nullement en vérité le succès du « brave maréchal » auprès des bonnes gens de Bretagne. Ah ! « si M. le comte de Chambord fût venu faire ce même voyage, il eût été plus acclamé et plus fêté que le maréchal, car il eût représenté la gloire et l’avenir de la France… » Quant au septennat, il n’en faut pas parler, « c’est une abstraction ; » on vient de montrer le « brave maréchal » en uniforme aux bons paysans bretons, il ne leur en faut pas davantage.

Voilà ce qui s’appelle prendre au sérieux le gouvernement de M. le président de la république ! Voilà comment le représentent ceux qui prétendent l’avoir créé, qui affectent de se dire ses meilleurs amis, et qui semblent n’avoir d’autre préoccupation que de le suivre pas à pas en l’enveloppant de leurs subtilités, de leurs arrière-pensées et de leurs restrictions ! C’est pour ménager ces étranges auxiliaires de son gouvernement que M. le maréchal de Mac-Mahon se croit obligé de se taire ou de répondre avec une certaine mauvaise humeur à ceux qui se bornent à répéter ses messages ! En réalité, le résultat le plus clair de ce voyage de Bretagne, c’est de rendre plus sensible la situation difficile qui a été