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III.

À côté des écrivains dont nous venons de rappeler les noms et les œuvres, nous en trouvons, dans le genre du conte proprement dit, une foule d’autres qu’il est fort difficile de classer, car la plupart ont laissé courir leur plume au hasard, sans autre but que de se distraire ou d’amuser le public, et ceux-là ne le cèdent à personne en fait de verve et d’esprit.

Au premier rang de ces fantaisistes aimables et toujours sourians se place Antoine Hamilton, que nous connaissons déjà par le voyage de leurs altesses Renardin et Griffonio. Après s’être égayé aux dépens des princes dans cette piquante allégorie, il s’égaie, dans Fleur d’épine, les Quatre Facardins, Zénéide et le Bélier, aux dépens des imitateurs de Perrault et des Mille et une Nuits ; il écrit des contes de fées pour s’en moquer, comme Cervantes avait écrit Don Quichotte pour se moquer des romans de chevalerie, et il donne en même temps une leçon de bon sens et de bon goût aux courtisans qui affectaient de mépriser Télémaque parce qu’il déplaisait à Louis XIV, et s’extasiaient devant les Veillées de Thessalie, l’Oiseau bleu et le Rameau d’or.

Tout ce que l’imagination la plus féconde peut inventer en fait de péripéties fantastiques et invraisemblables, de personnages impossibles et solennellement grotesques, se trouve réuni dans le Bélier, La scène se passe sous le roi Dagobert. Un druide, fils de Gaspard le Savant et grand magicien, habite à Pontalie, près Paris, un palais magnifique, entouré de jardins superbes où le Nil prend sa source. Ce druide a une fille nommée Alie, qu’il a dotée par ses enchantemens de toutes les grâces et de toutes les beautés.

Mille amans (ciel ! quelle faiblesse !),
Sûrs de mourir, voulaient la voir.
La sage et prudente vieillesse
Y venait languir sans espoir,
Et la florissante jeunesse
N’en avait pas pour jusqu’au soir ;
Rien n’échappait à la tigresse.
Tous les lieux d’alentour étaient tendus de noir.
Et l’on voyait périr sans cesse
Quelque amant sec, que la tendresse
Avait réduit au désespoir.

Les bergers qui l’apercevaient de loin dans la campagne étaient saisis d’un amour si violent qu’ils rentraient immédiatement chez eux pour se coucher, et le lendemain on les trouvait morts dans leur lit. Au nombre des adorateurs de cette incomparable nymphe, qui ressemblait à Cléopâtre, se trouvait un géant terrible, seigneur des