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le supposer, en vue du succès même de l’entreprise. Tel qu’il a été compris par certains publicistes, le code international serait une œuvre gigantesque. Dans son mémoire couronné en 1849 par le congrès des sociétés anglo-américaines réunies à Paris, M. Louis Bara proposait, ni plus ni moins, de modeler le code des nations sur nos propres codes[1]. Il ne doutait pas qu’il n’existât entre les peuples les mêmes rapports qu’entre les hommes. En conséquence, lois civiles, commerciales, pénales, politiques et administratives, sans oublier la procédure, il faisait tout entrer dans le corps de droit international, corpus juris gentium, comme il se plaisait à le désigner. Ramenée à la théorie pure, cette grande division des droits des peuples peut être rigoureusement exacte, mais l’offrir à ceux qui voudraient tenter les premiers rapprochemens entre les différens états, ce serait trop embrasser et courir le risque de mal étreindre ; pour aspirer à une codification proprement dite, on compromettrait le sort de négociations déjà assez périlleuses. Il s’agirait avant toute chose de prévenir les principales causes de guerre. Ce sont ces causes qui sont à observer dans leurs grands aspects. Elles ont varié avec les temps et les mœurs. En les énumérant, Grotius signalait notamment le refus de donner des femmes à ceux qui en demandent, l’envie de s’établir dans un meilleur pays que celui qu’on possède, le désir de s’emparer du gouvernement d’un état sous le prétexte que c’est pour son bien, la prétention à la souveraineté universelle. De nos jours, l’enlèvement des Sabines n’est guère à redouter ; les états ne sont plus nomades : resterait à savoir si la domination de la Rome antique ne tenterait pas encore des imitateurs modernes ; mais d’autres causes de guerre subsistent. M. Paul Leroy-Beaulieu les ramène à trois : l’oppression d’une nationalité par une autre, — les défiances et les jalousies surannées, entretenues par une diplomatie tracassière et par l’enseignement public, — enfin l’ambition des princes, et le besoin de faire oublier par l’éclat des entreprises extérieures la pauvreté des institutions du dedans[2]. — La dernière de ces causes n’est pas la moins irrécusable pour nous qui lui devons les désastres accumulés des deux empires. Après avoir étudié les faits contemporains, M. de Laveleye a découvert un plus grand nombre de causes de guerres, toutes actuelles, sans compter, dit-il, « le chapitre très étendu des querelles dont l’origine est si insignifiante qu’on ne peut ni les prévoir ni les décrire, et qu’il faut les grouper sous le titre de conflits sans nom. » Ces causes, selon lui, seraient la soif des conquêtes, la religion, le maintien de l’équilibre européen, les interventions à l’étranger,

  1. La science de la Paix, par Louis Bara, 1872.
  2. Recherches économiques sur les guerres contemporaines, Paris 1873.