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d’habiles généraux. Avec la composition actuelle du corps électoral et par l’effet même des lois contre la corruption, qui tendent à diminuer les frais des candidatures, il se trouvera forcément des candidats intelligens qui, pour pouvoir eux-mêmes parvenir, se chargeront d’en appeler aux désirs latens des groupes les plus importans et de leur fournir un programme de nature à les attirer. Il n’y a pas besoin, pour le croire, de supposer des intentions dépravées. Nous serions trop heureux si les hommes ne faisaient le mal qu’en prenant cyniquement la résolution de trahir leur conscience pour satisfaire leur ambition. Malheureusement c’est leur conscience qui commence par être dupe de leur ambition. Là où la députation n’est réellement possible que pour ceux qui savent s’assurer la popularité, la morale et la prudence des classes bourgeoises, de celles qui aspirent à la députation, se mettent naïvement en accord avec cette nécessité. On voit naître une nouvelle philosophie politique qui consiste à croire honnêtement, par irréflexion, que le devoir de l’homme d’état est justement de n’avoir aucune idée à lui, de ne pas se diriger d’après son propre sentiment des conditions de la vie et du progrès, mais de s’appliquer uniquement à deviner les volontés du peuple et à inventer les choses les plus propres à les réaliser.

Ce n’est pas toutefois que le danger se présente comme chez nous. Il n’y a rien en Angleterre qui ressemble à nos haines de classe à classe, rien non plus qui ressemble à notre socialisme révolutionnaire ; les tendances des sociétés ouvrières sont à cet égard des plus significatives ; mais il ne reste pas moins une marge pour le chapitre des éventualités à redouter. Comme le faisait observer tout récemment M. Greg dans une remarquable étude publiée par le Contemporary, il y a tout d’abord la question des impôts. Même en admettant que les classes ouvrières soient animées des meilleurs sentimens, il est évident, si on les arme du pouvoir d’établir à leur gré l’impôt, qu’on les expose à la tentation de diminuer leur propre charge en rejetant le fardeau sur d’autres épaules. En Angleterre surtout, le péril est d’autant plus grand qu’il n’y a rien à inventer. Déjà il existe un income-tax qui frappe seulement les revenus supérieurs à un certain chiffre. Déjà aussi il y a une agitation tout organisée contre les impôts indirects, c’est-à-dire contre les taxes qui pèsent également sur le pauvre et le riche. La route est donc ouverte et battue[1]. L’instinct de conservation et d’accroissement,

  1. D’ailleurs, depuis les résolutions adoptées en 1860 sur la proposition de lord Palmerston, la chambre des communes est souveraine en matière d’impôts. Primitivement les lords se taxaient eux-niftmes, et ils conservèrent pendant longtemps le droit d’amender les lois de finances ; mais aujourd’hui la propriété n’a plus d’organe public pour se défendre.