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cesse son influence civilisatrice, et de larges satisfactions lui furent bientôt données. En 1851, le comité des affaires étrangères du sénat des États-Unis, présidé par M. Foot, émettait un vœu en faveur de l’arbitrage international, et au mois de février 1853 le sénat, sur le rapport de M. Underwood, engageait le président, chaque fois que cela serait pratiquable, à insérer dans tous les traités à conclure à l’avenir un article ayant pour but de faire soumettre tout différend qui pourrait s’élever entre les parties contractantes à la décision d’arbitres à choisir d’un commun accord. Dès 1856, l’occasion se présentait de profiter du conseil. Les grandes puissances avaient à régler le différend de la Turquie. Une députation de la Société de la paix de Londres, composée de MM. Hindley, Joseph Sturge et Henry Richard, fut envoyée à Paris pour recommander à lord Clarendon et aux plénipotentiaires réunis dans cette ville une clause relative à l’arbitrage international. Lord Clarendon en effet proposa au congrès d’adopter l’idée qui était défendue par les sociétés de la paix d’Europe et d’Amérique. Les autres diplomates l’accueillirent, et le traité qui a pris le nom de traité de Paris stipula que, si un désaccord venait à s’élever entre la Sublime-Porte et une ou plusieurs des parties contractantes, elles devraient, avant de recourir aux armes, fournir aux puissances signataires du traité le moyen de prévenir une semblable extrémité par leur médiation. Dégageant du traité une règle d’application beaucoup plus générale, le vingt-troisième protocole posait cette première assise de l’arbitrage : « Les plénipotentiaires n’hésitent pas à exprimer le vœu, au nom de leur gouvernement, que les états entre lesquels un sérieux dissentiment viendrait à s’élever eussent recours avant d’en appeler aux armes, en tant que les circonstances l’admettraient, aux bons offices d’une puissance amie. Les plénipotentiaires espèrent que les gouvernemens non représentés au congrès s’uniront au sentiment qui a inspiré le vœu contenu dans le présent protocole. » En effet, quarante états adhérèrent à cette clause. En présence de ce protocole et de la solennité qui en avait amené l’acceptation par toutes les puissances, M. de Laveleye[1] se demande comment l’empire a pu engager la guerre de 1870. Ce protocole était-il déjà oublié ? Non sans doute, et il ne fallait qu’un instant pour que, rappelé par une des puissances, sinon par le pays, l’on vît aussitôt surgir une demande de médiation. N’est-ce pas là ce que craignait Napoléon III quand on brusquait si violemment le vote de la chambre, quand on refusait aux instances de M. Thiers les vingt-quatre heures de réflexion qu’il sollicitait si énergiquement pour sauver la paix !

  1. Des Causes actuelles de guerre en Europe, Bruxelles 1873.