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Romanofski s’avançait au-devant de Mozaffer-Eddin avec quelques milliers de soldats. La rencontre qui eut lieu à Irdjar, sur les bords du Yaxartes, un peu en amont de Chinaz, fut décisive. En moins d’une heure, les 40,000 hommes de l’émir se débandèrent, abandonnant sur le champ de bataille l’artillerie et les équipages. Les pertes des Russes s’élevaient à douze blessés. Il n’y eut jamais en aucun pays défaite plus complète et moins honorable. Romanofski s’avança tout de suite jusqu’à Khodjend, qui ne fit aucune résistance. Mozaffer alors demanda grâce. Les ambassadeurs qu’il détenait dans sa capitale furent mis en liberté. Les conditions qu’on lui fit n’avaient rien d’excessif : reconnaître les conquêtes de la Russie, réduire les droits de douane en faveur des marchandises russes, payer un million de francs d’indemnité de guerre. La paix parut donc se rétablir.

La Russie avait tant à faire dans ses nouvelles conquêtes qu’une longue période de tranquillité lui semblait être indispensable. Il fallait avant tout pourvoir à l’organisation des territoires qu’elle venait de s’attribuer. Les municipalités existaient déjà dans chaque ville de quelque importance ; Romanofski les conserva en les plaçant sous la surveillance d’un officier russe ; il délégua même des attributions fort étendues à ces corps municipaux, telles que la perception des impôts et l’administration de la justice. Le commandant de cette province lointaine endossait une si grande responsabilité, il lui était si difficile de consulter ses supérieurs hiérarchiques lorsque quelque chose d’imprévu se présentait, que l’on avait toujours été obligé de lui laisser beaucoup d’initiative. Par cette même raison, le tsar institua, par un ukase du 23 juillet 1867, le gouvernement-général du Turkestan russe dont le siège était dans la ville de Tachkend, définitivement réunie à l’empire. Romanofski était-il un trop petit personnage pour un tel commandement, ou bien avait-il démérité ? nous ne savons, mais il rentra dans la vie privée. Le nouveau gouverneur-général était le général von Kauffmann, qui s’était acquis déjà la réputation d’un habile administrateur dans les provinces de la Baltique.

À cette époque, Khouda-Yar, khan de Khokand, s’était résigné au rôle effacé que lui donnaient les événemens. Sous l’apparence bénévole d’un traité de commerce, il avait accepté de fait le protectorat de la Russie ; il y a gagné de régner tranquille jusqu’à ce jour. L’attitude de la Bokharie était loin d’être aussi satisfaisante. Non pas que Mozaffer-Eddin eût sérieusement envie de recommencer la guerre, car la journée d’Irdjar lui avait appris la valeur respective de ses troupes et des troupes européennes ; mais ses sujets et surtout la caste sacerdotale, toujours influente dans la Transoxiane, ne se soumettaient pas si volontiers. L’émir avait envoyé des ambassadeurs