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russes, atteignait le chiffre de 8 millions de francs. Souvent rançonnées par les nomades, les caravanes étaient de plus soumises à des droits de douane exorbitans. L’émir n’avait pas d’ailleurs que ce moyen brutal de s’enrichir aux dépens des Russes. Il envoyait de temps en temps des ambassades qui revenaient de Saint-Pétersbourg comblées de présens et en laissaient une bonne partie à leur maître. De leur côté, les Russes vinrent pour la première fois à Bokhara en 1820, avec une mission officielle. M. de Negri, chef de l’ambassade, était accompagné par le baron de Meyendorf, à qui l’on doit le récit du voyage. Ce diplomate avait pour instructions d’obtenir que les marchandises ne fussent pas surtaxées dès qu’elles passaient la frontière, et que les caravanes fussent protégées contre les nomades indisciplinés. L’émir régnant, le terrible Nasroulah, répondit qu’il appartenait à l’empereur Alexandre de protéger lui-même ses sujets ; du reste il voulut à peine recevoir M. de Negri, il refusa même de mettre en liberté les esclaves de nationalité russe, au nombre de 600 à 700, qui vivaient en servitude dans le khanat. L’ambassadeur ne put ramener que ceux dont il paya la rançon. Plus tard d’autres envoyés du tsar ne furent pas mieux accueillis. Cependant en 1840 Nasroulah avait peur des Anglais, qui étaient maîtres alors de l’Afghanistan. Le major Boutenief fut reçu d’une façon convenable ; celui-ci venait, comme ses prédécesseurs, négocier un traité de commerce et réclamer les sujets russes retenus en esclavage. Il ne put obtenir que ses demandes fussent sérieusement discutées. Puis, lorsque parvint la nouvelle des désastres éprouvés par l’armée anglaise à Caboul, il se vit brusquement éconduit.

Il était clair, après ces tentatives réitérées, que les potentats de l’Asie centrale ne céderaient rien aux Européens, que par la force seule on obtiendrait d’eux quelques garanties. La route ordinaire des caravanes entre Orenbourg et Bokhara contourne la mer d’Aral par l’Orient. À moitié chemin à peu près, vers l’embouchure du Yaxartes, se trouvait à cette époque la limite idéale entre les tribus soumises à la Russie et celles qui se reconnaissaient vassales des khans de Bokhara, de Khiva ou de Khokand. Çà et là se dressaient au bord du fleuve quelques forteresses, d’où des chefs indigènes, plus ou moins soumis à leurs maîtres, rançonnaient les caravanes et pillaient les nomades. Ainsi en 1850 le commandant d’Ak-Mesdjid, qui n’était autre que Yacoub-Beg, devenu plus tard sultan de Kachgar, enlevait 26,000 têtes de bétail aux Kirghiz dans une razzia, 30,000 têtes une autre fois afin de protéger ses vassaux contre ces exactions, le tzar se décida enfin à mettre des garnisons permanentes en quelques points de cette région. En 1847 fut fondé le fort d’Aralsk, à l’embouchure du Syr-Daria. C’était une base d’opérations pour de nouvelles entreprises. En même temps, les Russes s’occupaient