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une route vers les riches contrées de l’Hindoustan. Il résolut donc d’envoyer une expédition militaire dans la vallée de l’Oxus. Le programme de cette entreprise était bien complexe : complimenter les souverains de la Khivie et de la Bokharie, rechercher les sables aurifères que l’on prétendait exister dans l’Amou-Daria, reconnaître l’ancien lit par lequel ce fleuve se déversait dans la Caspienne, explorer la route de l’Inde. Tout cela était pacifique, et pourquoi donc alors donner à son ambassadeur l’escorte d’une armée entière ? C’est que Pierre le Grand avait lieu de croire que les khans ousbegs avaient quelques démêlés avec leurs propres sujets ; il voulait leur offrir généreusement d’installer une garnison russe dans leur capitale.

Le chef de cette expédition était le prince Bekovitch Cherkaski, d’origine kirghise et même, dit-on, l’un des plus importans personnages de ces tribus nomades. Les gouvernemens de Kazan et d’Astrakan lui fournirent 4,000 fantassins et 2,000 cavaliers cosaques. La première campagne fut employée à construire un fort à Krasnorodsk, sur une presqu’île de la côte orientale de la Caspienne que les Russes occupent encore aujourd’hui. L’année d’après, au mois de juin 1717, il se mit en marche à travers le désert d’Oust-Ourt, battit les troupes khiviennes à Karagach, et enfin conclut un traité de paix avec le khan. Celui-ci lui offrit alors l’hospitalité dans son palais de Khiva. Seulement, la contrée fournissant peu de ressources, on lui fit croire qu’il était indispensable de partager ses troupes en petits détachemens. Ce n’était qu’une ruse de guerre. Quand les soldats russes furent disséminés, l’ennemi les attaqua en détail et les anéantit. Bekovitch fut l’une des premières victimes. 0n raconte qu’il fut écorché vif et que l’on fit un tambour avec sa peau. Cet acte de cruauté n’est rien moins que prouvé ; mais, s’il est vrai que Bekovitch était de race mongole, on comprend aisément que les compatriotes de ce transfuge éprouvèrent une vive irritation contre lui[1]. Le désastre de 1717 eut de graves conséquences pour les Russes. Les Turcomans qui habitent entre la Caspienne et l’Oxus ne s’étaient prononcés par prudence pour aucun des deux partis belligérans. Lorsqu’ils apprirent la défaite des envahisseurs, ils attaquèrent les forts que les Russes avaient établis sur le littoral. Les garnisons, isolées et dépourvues de vivres, résolurent de se retirer sur Astrakan ; la navigation était sans doute périlleuse sur cette mer, dont les rivages étaient peu connus. Aussi n’en réchappa-t-il que quelques individus. En définitive, l’issue de cette malheureuse entreprise fut telle que le tsar s’abstint de la renouveler.

  1. Voyez le Khiva en mars 1873, par Ali-Suavi.