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théologique de l’église moyenne et parle quasi-anabaptisme des dissidens. En regard des partis religieux et laïques qui vont de plus en plus au laisser-faire pur, à la conclusion qu’il faut abandonner les individus à leur conscience ou à leur inconscience, il se trouve un parti à tendances catholiques, qui revient tout simplement à l’idée de rétablir l’unité par la suprématie d’un clergé et par un culte symbolique qui ne s’adresse qu’à l’imagination.

En ce qui touche la politique, l’esprit général n’a pas moins changé : il est devenu sentimental. Jusqu’à ces dernières années, l’Angleterre avait dépensé son esprit de système dans sa théologie, et, sauf un ou deux cas remarquables, réservé son idéalisme pour sa poésie. En politique, elle était surtout gouvernée par son sentiment du possible et du nécessaire. Elle se raillait des peuples enfans qui en sont encore à regarder l’administration d’une société comme un roman, et qui supposent que l’art du législateur ou de l’électeur consiste à imaginer d’abord l’idéal le plus propre à satisfaire leurs désirs, pour ne plus songer ensuite qu’à le faire triompher. Aujourd’hui elle n’a plus guère le droit de jeter la pierre aux autres. Ce que peuvent valoir les transformations radicales qu’elle apporte à sa constitution, ce que peut valoir le renversement qu’elle fait subir à ses traditions en se prononçant, à l’égard de l’Irlande, pour l’indifférence absolue de l’état vis-à-vis de l’éducation religieuse et en créant des privilèges exceptionnels au profit des fermiers. Dieu seul le sait. Les hommes ne le peuvent apprendre que par les fruits qui en sortiront ; mais assurément, depuis sa seconde réforme électorale, sa législation intérieure et sa politique étrangère n’ont été qu’un long sacrifice à l’idéal. Ce n’est pas sous la pression d’une agitation dangereuse à braver qu’elle a confié son sort à un nouveau corps électoral, composé en majorité des classes ouvrières, qui n’avaient point fait leurs preuves : elle s’y est décidée sans souci des conséquences et par pur amour pour une théorie. Ce n’est pas non plus d’après les conseils de sa prudence, — et en vérité c’est positivement en dépit de sa prudence, qui en voyait le danger, — qu’elle a dégagé les électeurs de la pression de l’opinion publique en remplaçant le vote à ciel ouvert par le scrutin secret. En cela, elle a simplement pratiqué la méthode française, et elle l’a pratiquée avec cette circonstance aggravante, que, pour réaliser un désir de son imagination, elle faisait table rase des choses qui chez elle avaient le mieux fonctionné. Depuis lors encore, c’est par de pures considérations logiques qu’elle a pris tacitement la résolution d’achever son œuvre. Elle craindrait de se mettre en désaccord avec elle-même en refusant d’étendre aux ouvriers des campagnes les droits politiques qu’elle a accordés aux ouvriers des villes.