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la palme que le Portugal avait poursuivie sous trois règnes et qu’il était enfin sur le point de cueillir. Jean II, fort heureusement pour sa gloire, ne céda pas à cet odieux conseil. Il préféra demander au pape de partager l’univers entre les Espagnols et lui en deux portions égales. Colomb put donc regagner sain et sauf le 15 mars 1493 le port qu’il avait quitté le 3 août 1492. Quelques jours après, il faisait son entrée triomphale à Barcelone « accompagné de ses Indiens et de ses perroquets. »


IV.

Il fallait raconter avec quelque détail les premiers pas de la navigation hauturière, car ces premiers pas furent les plus difficiles. Ils eurent lieu dans la zone des vents variables, qui est aussi la zone des tempêtes fréquentes. Beaucoup de vieux marins sont d’avis que c’est à la hauteur des Açores que se rencontrent les plus grosses mers et les plus forts coups de vent. Une fois la zone des vents variables franchie, on trouva une température si douce, des brises si égales, si constantes dans leur direction, qu’on se crut un instant sur le chemin du paradis terrestre. On était entré dans la zone des vents alizés. Personne n’ignore aujourd’hui les lois de cette grande circulation atmosphérique qui s’établit des régions polaires vers l’équateur, dévie vers l’ouest en se heurtant à des couches animées d’une plus grande vitesse de rotation, et laisse de chaque côté de la ligne équinoxiale un vaste champ neutre où viennent se mêler les courans des deux pôles. Cet espace, qui oscille, suivant la saison, du nord au sud, a été nommé par les marins « le pot au noir. » Le ciel en effet y est presque toujours chargé de gros nuages opaques, et, quand par intervalles il ouvre ses cataractes, on se croirait revenu aux jours du déluge. Une humidité chaude, pénétrante, envahit le navire : chacun aspire à sortir au plus vite de cette étuve ; souvent par malheur on s’y débat longtemps. Des souffles capricieux peuvent durant des semaines retenir sur la limite des deux hémisphères le capitaine novice. Les Portugais, qui avaient découvert le Brésil sans le chercher et sans le vouloir, étaient restés très pénétrés du danger qu’on courait de se voir entraîné par les courans sur la côte d’Amérique. Ils s’obstinaient donc à hanter autant qu’ils le pouvaient la côte africaine aussitôt après avoir dépassé les îles du Cap-Vert. Mal fixés sur la longitude du cap Saint-Augustin, moins bien renseignés encore sur celle de leur navire, ils n’osaient pas prolonger leurs bordées vers l’ouest, où ils eussent trouvé, à l’approche des côtes, une autre influence, celle d’un vaste continent attirant à lui les couches d’air et épurant le ciel. Pendant qu’ils s’attardaient dans les fâcheux parages qu’un