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Qu’avaient à envier, sous le rapport des qualités nautiques, les navires de Colomb ou ceux de Magellan, aux pilot-boats que le capitaine Wilkes emmena en 1838 au-delà du cap Horn ? La moindre crique leur offrait un abri, la plupart des bancs n’effleuraient pas leur quille, et, un jour de tourmente, je ne sais quel galion eût fait meilleure figure que ces « vaisseaux ronds de médiocre calibre, courts de varangue et à poupe carrée, » dont les dimensions eussent peut-être fait reculer d’effroi les argonautes, mais dont la bonne assiette sur l’eau, la voilure maniable, le gréement à la fois solide et léger, auraient certainement rassuré le regard d’un marin. « Outre les bourcets et les bonnettes à étui, » la caravelle portait « quatre voiles à oreilles de lièvre, » dites aussi « voiles latines, » On citait surtout ce genre de bâtiment pour « son habileté à virer de bord. » Les chebecks que nous prîmes en 1830 au dey d’Alger, ceux qui croisent encore tous les jours sur les côtes de Catalogne ou dans le golfe de Valence, moins hauts de bord peut-être, moins renflés dans leurs formes, peuvent cependant donner une idée des caravelles. Ce sont des caravelles de course ; les caravelles étaient des chebecks de charge. Tant que la brise soufflait modérée, elles gardaient leurs grandes voiles triangulaires enverguées sur de longues et fragiles antennes. Pour les gros temps, elles tenaient en réserve un appareil plus sûr, ce jeu de voiles carrées avec lequel un des bâtimens de Colomb, la Pinta, quittera les Canaries.

Le port moyen de la caravelle variait entre 120 et 130 tonneaux. L’équipage se composait communément d’une cinquantaine d’hommes : un capitaine, un maître, un contre-maître, un pilote, un tonnelier, un calfat, un charpentier, un canonnier, un bombardier, deux trompettes, quatorze matelots, cinq écuyers et vingt novices. Ce qui eût été téméraire, ce n’est pas d’aller en découverte avec ces navires alertes, bien pourvus de vivres et de mince tirant d’eau ; c’eût été de vouloir leur substituer dans une pareille mission des caraques, des galéasses, des mahones ou même ces ramberges que plus tard les Anglais construisirent « pour faire peur. » Avec la caravelle, la boussole et l’astrolabe, on pouvait faire le tour du monde ; le difficile était de l’entreprendre.

Les Espagnols ont partagé avec les Portugais la gloire des grandes découvertes du XVe siècle ; c’est aux Portugais qu’il faut rapporter l’honneur d’avoir rendu ces découvertes possibles en émancipant les premiers la navigation. Améric Vespuce a pu trouver bon de parler avec dédain de ces voyages « où l’on se traînait le long des côtes » et qui ont abouti « à faire le tour de l’Afrique par le sud, comme tous les auteurs de cosmographie l’avaient indiqué. » Les navigateurs qui ont su atteindre Madère et les Açores ont incontestablement