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de se classer et de se faire classer parmi les esprits d’avant garde.

D’ailleurs le sentiment religieux du pays a perdu lui-même son équilibre. L’Angleterre ne se contente plus en ce moment d’être dissidente ou anglicane à la vieille manière. Les classes marchandes et ouvrières sont restées fidèles au méthodisme ou aux formes les plus exclusives et les plus sectaires du protestantisme indépendant ; mais à la place du protestantisme modéré, qui, comme une sorte de compromis parlementaire, était accepté par le gros de la nation, on aperçoit partout maintenant des conflits de tendances contraires. Tandis que les hommes des classes éclairées s’en tiennent généralement à une sorte de morale chrétienne sans théologie ou sont franchement indifférens, une partie de l’aristocratie, du clergé et des femmes intelligentes s’est éprise du ritualisme. Pusey est dépassé. Au sein même de l’église établie, il y a un parti fort remuant qui, par le caractère monacal de sa dévotion, rappelle le catholicisme, et qui fait littéralement parade de calquer les cérémonies, les vêtemens sacerdotaux, les pompes mystérieuses du culte romain. J’emploie à dessein ce mot de calquer, car les apparences sont imitées sans grand souci d’en saisir le sens. Devant un autel sur lequel il n’y a pas d’hostie, le ritualisme exécute les génuflexions et les offrandes d’encens qui chez les catholiques s’adressent à l’hostie ; il a même dans plusieurs de ses temples des tableaux de chemins de croix qui attendent une dévotion à venir. Que cela indique une propension vers Rome, ce n’est point mon avis. Les ritualistes sont peu portés à se soumettre au pape : ils sympathiseraient plutôt avec le vieux-catholicisme ou avec l’église grecque ; mais le ritualisme ne dénote pas moins que le protestantisme pondéré a cessé d’être exigé par le sentiment général. S’il est difficile de dire au juste quelle est la profondeur de ce courant et dans quelle mesure il représente des convictions ou un simple mouvement d’imagination[1], il est certain que l’extrême droite de l’église va au sacerdotalisme le plus prononcé. Elle insiste sur la succession apostolique et fait du prêtre un médiateur nécessaire. Elle encourage la confession auriculaire ; elle tend, sinon à rétablir la messe, en tout cas à admettre une sorte de renouvellement constant du sacrifice offert par le Christ et à donner une importance capitale aux sacremens que le prêtre seul peut administrer pour le salut des fidèles. Bref, en Angleterre aussi, il y a une réaction autoritaire, provoquée par l’indifférence

  1. Le bill que vient d’adopter le parlement, et qui a pour but de réprimer les cérémonies illégales, semble prouver que le ritualisme a pris assez de développement pour qu’on juge utile de l’arrêter, mais qu’il a trop peu d’importance pour que l’on craigne en l’arrêtant de provoquer une scission.