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les degrés de la voûte céleste, sans jamais sortir de la route qui leur a été tracée, le marin a dû naturellement se demander s’il ne devait pas songer à les prendre pour guides. Après avoir d’un regard attentif observé leurs mouvemens, il en est arrivé dès les premiers âges de la navigation à savoir quel amas d’étoiles il convenait de laisser à sa droite, quel groupe il importait de tenir à sa gauche, quand on voulait, en certaine saison, se rendre de tel port à tel autre. C’est ainsi qu’impuissant à jalonner sa route sur les flots le navigateur put cependant s’y reconnaître encore en suivant les porte-flambeaux qui semblaient marcher devant lui. Quelques vieux pilotes entourés d’une vénération superstitieuse gardaient alors avec un soin jaloux le dépôt de ces itinéraires qui n’étaient inscrits que dans leur mémoire. Que de fois il fallut employer la ruse ou la violence pour arracher à ces demi-dieux marins leur secret ! Ménélas va surprendre endormi dans sa grotte Protée, le pasteur de phoques ; Ulysse cherche pendant dix ans, de plage en plage, le chemin qui doit le ramener à Ithaque. Il part enfin, instruit par Calypso. Son regard se promène des « Pléiades au Bouvier, du Bouvier, qui se couche tard, à l’Ourse, qui ne se plonge jamais au sein de l’océan. » Nul n’a pu lui apprendre encore qu’il existe, dans la direction du septentrion, un phare bien autrement sûr, un astre presque immobile et si voisin du pôle qu’il semble avoir été destiné à marquer sur le dôme des cieux le point où irait aboutir l’axe prolongé de la terre. Cette découverte appartient, dit-on, aux Phéniciens : elle leur donna, pendant plus de deux cents ans, le monopole du commerce maritime.

À partir de cette époque l’essentiel pour le navigateur n’est pas tant d’avoir le vent en poupe que de pouvoir discerner l’étoile polaire. « De quels nuages Jupiter a couvert la mer immense ! » tel est le premier cri du pilote antique à l’approche de la tempête. Le pilote du moyen âge ne se montre pas moins effrayé dès qu’il est exposé « à perdre la tramontane. » Le danger d’errer à l’aventure et non pas la fragilité des nefs est donc ce qui retient, ce qui enchaîne invinciblement au port, pendant toute la durée de la saison d’hiver, une marine dont l’enfance se prolonge démesurément à travers les âges. Le vaisseau que montait saint Paul, et qui voulut tenter un tardif passage de Gnide à Rome, portait deux cent soixante-seize personnes ; rien ne fait présumer qu’il fût moins propre que les grandes jonques chinoises à prêter le flanc à l’orage. Nous le voyons pendant quatorze jours lutter avec succès contre le vent du nord. Emporté par des grains impétueux au large de la Crète, il ne se laisse pas affaler dans le golfe de la Syrte ; il s’allège d’une partie de sa cargaison, se débarrasse d’une portion de ses dromes