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Bacchus, et Timanthe un Sacrifice d’Iphigénie, il ne s’ensuit pas de là que tous les Jupiters soient des copies de Zeuxis, tous les Bacchus des copies d’Aristide, toutes les Iphigénies des copies de Timanthe. Tous les Napoléons des images d’Épinal ne sont pas des copies de David ou de Gros ; tous les horribles chemins de croix qui déshonorent les plus belles églises de village ne sont pas des copies de Raphaël, de Tintoret et de Rubens. Au temps des empereurs, bien des tableaux des maîtres grecs avaient péri ; d’autres étaient restés en Grèce ; quelques-uns seulement avaient été transportés à Rome. À la vérité, Néron fit faire au peintre Dorothée une copie de la Kypris Anadijomène d’Apelles, qui commençait à se pourrir ; mais Dorothée, pour copier cette œuvre, l’avait sous les yeux. Peut-on admettre que le césar laissât à tous les peintres et à tous les décorateurs de l’empire le loisir de copier la Kypris Anadyomène, pour qu’ils la recopiassent ensuite sur le mur de l’atrium de quelque affranchi de Germanicus ? D’autres peintures grecques, il faut en convenir, exposées dans des endroits publics, étaient toujours visibles ; mais les peintres et les décorateurs, qui n’étaient que médiocrement payés à Pompéi, auraient-ils pu gagner leur vie, s’il leur eût fallu, pour chaque peinture exécutée en Campanie, venir d’abord faire une copie à Rome ? Qu’il y ait dans les peintures trouvées dans les fouilles des imitations, des réminiscences inconscientes ou voulues des tableaux des maîtres, on peut le croire ; qu’il y ait de véritables copies, cela est inadmissible. Ces peintures ne sont que des œuvres décoratives d’une habileté extrême, comparables par plus d’un point aux peintures rapidement brossées de nos décorateurs.

Qu’on suppose donc que dans deux ou trois milliers d’années, Paris détruit ou enseveli par quelque cataclysme, on y découvre inespérément ces rares peintures décoratives qui ornent encore certains hôtels ; ces peintures, qui sont non pas des œuvres d’art, mais des œuvres de métier, inspirations et réminiscences des chefs-d’œuvre modernes, ne donneront pas l’idée de ce qu’était un tableau de Raphaël, de Ingres ou de Corot. Néanmoins, grâce à la pratique consommée de l’art, aux puissans moyens d’exécution, à la noblesse et au charme des figures, à la variété des attitudes, à la grande entente de la composition, au coloris même, pourtant bien atténué par le temps, qui y seront manifestes, on pourra avoir une idée de ce qu’avaient pu faire Raphaël, Ingres ou Corot.

Les auteurs citent plusieurs tableaux de maîtres grecs transportés en Italie. Il n’y a cependant pas trop à s’étonner que les fouilles n’aient pas donné au milieu de tant de peintures de la décadence une seule peinture de la grande époque. D’abord y eut-il jamais à