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la mort du roi, nul n’aura, dans un style plat et vulgaire, de plus bénignes périphrases, de plus savans euphémismes pour désigner les massacres populaires.

« On est assez tranquille en ce moment à Paris, écrira-t-il le 30 août 1792. M. Bourbon boit, mange et dort toujours sans souci. Sa femme ronge son mors. Il est bien ennuyeux d’avoir toujours à parler de cette famille; il faut espérer que la convention nationale nous sortira de cette peine. — 20 novembre. Vous avez su où nous en étions au sujet de Louis le dernier. Sans doute vous avez été étonnés du sérieux avec lequel on discute la question de savoir si cet homme hideux de forfaits peut être jugé. — 26 janvier 93. Marie-Antoinette, que les peines de cœur n’atteignirent jamais, est la même après comme avant l’événement de son mari. Elle mange, boit et dort comme de coutume. Elle a cependant fait demander des habits de deuil, qu’on lui a accordés. — 4 septembre 1792. Bicêtre vient d’être pris, et le peuple y exerce judiciairement toute sa souveraineté. — 6 septembre 1793. Le peuple continue à exercer sa souveraine justice dans les différentes prisons de Paris. »

Le cœur se soulève à lire de telles pages, mais il faut les connaître pour mesurer ces sortes de héros. La révolution se chargea d’en punir elle-même un certain nombre : on sait la carrière de Couthon, sa guerre acharnée contre les girondins, sa mission de destructeur à Lyon, son rôle dans le triumvirat de la terreur, ses froides et atroces cruautés, son châtiment au 9 thermidor. Décrété d’accusation en même temps que Robespierre, enfermé à la Force, enlevé aux hommes de la convention par ceux de la commune, transporté à l’Hôtel de Ville, retombé là bientôt au pouvoir de la convention, il se blessa légèrement d’un poignard et fit le mort, pendant que Robespierre se tirait un coup de pistolet. On s’aperçut de la ruse et on l’envoya à la Conciergerie, où se trouvaient ses complices. Le lendemain on le jeta dans la charrette avec eux; il ne pouvait se soutenir, on le foulait aux pieds... M. Francisque Mège nous apprend de quelle manière fut accueillie par ses commettans, par ceux qui l’avaient exalté jadis et au nom desquels il avait agi, la nouvelle de son exécution. Le conseil municipal de la commune d’Orcet, où il était né, décida par un arrêté que son portrait serait brûlé publiquement au son de la carmagnole, que ses lettres et rapports seraient effacés sur les registres, et qu’en marge de chaque pièce on écrirait ces mots : « il a trahi la république; sa commune le renie et voue sa mémoire à l’exécration publique. »

Quel eût été George Couthon dans un autre temps, calme et contenu? Une âme généreuse? Assurément jamais. Cependant M. Mège, qui a recueilli sur son compte tant d’utiles informations, nous dit que sa veuve, morte seulement en 1843, conserva toujours de lui un affectueux souvenir. Qui sait si les discours à l’académie de Clermont, les plaidoyers d’avocat, les fleurs de rhétorique, n’auraient pas suffi à la vanité de ce