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Cette proposition obtenait aussitôt la faveur de l’urgence, qui ne fut jamais mieux justifiée, car la saison chaude et sèche de juillet à novembre, dans laquelle nous sommes entrés, passe rarement sans qu’on ait à signaler quelque désastre de cette nature.

Sur les 14 ou 15 millions d’hectares dont se compose le Tell algérien, les terrains boisés en comprennent, d’après les estimations du service forestier, 1,800,000 environ, c’est-à-dire le septième de la superficie totale. Les massifs les plus importans se trouvent dans la province de Constantine ; mais les deux autres ont aussi leur part de richesses forestières, et l’un des plus beaux spectacles de la nature est assurément cette forêt de cèdres de Teniet-el-Had, dans le département d’Alger, qui offre des sujets contemporains, dit-on, des croisades et même plus anciens. Les essences des régions boisées de l’Algérie sont variées et des plus précieuses ; par un privilège du sol, les arbres de produit y sont les plus abondans, et l’olivier, les résineux, le chêne-liège, forment presque entièrement ses hautes futaies. Cette dernière espèce, qui serait exclusive au bassin de la Méditerranée, si elle ne comptait quelques représentans dans nos landes de Gascogne, et qui semble à la veille de disparaître du midi de la France, de l’Italie et de l’Espagne, n’occupe pas en Algérie moins de 440,000 hectares, dont 170,000 ont été concédés à divers titres à des capitalistes français. Ces concessionnaires sont pour la plupart réunis en société, quelques-uns exploitent avec leurs ressources individuelles, et, à en croire leurs doléances, ils auraient déjà dépensé dans l’intérêt de leur exploitation une vingtaine de millions.

La pénurie où les autres pays se trouvent du chêne-liège, dont l’emploi est si fréquent dans l’industrie, commanderait d’en étendre le domaine en Algérie. Il est douloureux de constater qu’au lieu de songer à augmenter cette richesse, il faut mettre tous ses soins à la défendre : heureux si nos efforts parviennent à préserver de la destruction ce qui en reste ! Chaque année, l’incendie porte ses ravages dans les forêts algériennes et en dévore une partie. L’exposé des motifs du projet de loi établit qu’en douze années 250,000 hectares de bois ont été consumés. Rappelons aussi que, pour réparer les dévastations causées rien qu’en 1871 par le feu dans les provinces de Constantine et d’Alger, 19 millions prélevés sur l’indemnité de guerre imposée aux indigènes ont paru à peine suffisans. Le mal n’acquiert pas toujours, il est vrai, une intensité égale ; mais une sorte de périodicité, plus encore que les excès même du feu, décourage les entreprises et effraie les capitaux, dont le concours est si indispensable à l’œuvre de la colonisation.

Chose incroyable, durant une certaine période, les incendiaires ont été en quelque sorte protégés par l’opinion; il s’était formé une théorie de la combustion instantanée des productions du sol, derrière laquelle l’imprudence et même la malveillance demeuraient souvent impunies. Pour enflammer de vastes étendues de pays, il suffisait, disait-on,