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sont plus pour le moment aux prises dans le palais de Versailles, ils s’agitent ailleurs, et ils remplissent ces premiers loisirs des vacances du bruit de leurs prétentions et de leurs revendications. Les légitimistes, pressés de chercher ce qu’on pourrait bien faire pour ne pas perdre son temps, ne trouvent rien de mieux que de conseiller à M. le comte de Chambord une petite visite en France pendant ces mois de congé parlementaire. M. le comte de Chambord n’aura qu’à paraître pour conquérir son royaume, non plus par les armes comme Henri IV, non plus par la diplomatie de M. Chesnelong ou de M. le duc de Bisaccia comme l’an dernier, mais par la séduction de la parole et par le charme de la présence réelle. On organisera des pèlerinages en Touraine sous les ombrages de Chambord, le moyen est infaillible ! Les bonapartistes, déjà fort occupés de l’élection du Calvados, qu’ils se flattent d’enlever demain, s’ingénient à réchauffer les tièdes : ils offrent un voyage en Suisse, à Arenenberg, où vont se rendre l’impératrice Eugénie et le prince impérial. Ceci est une attention délicate à l’adresse de ceux qui craignent le mal de mer en passant la Manche pour aller jusqu’à Chislehurst, — et on sera autorisé à vérifier les aptitudes scolaires du jeune artilleur de Woolwich ! Les radicaux à leur tour, fatigués d’une certaine modération relative qu’ils s’imposent depuis quelque temps, les radicaux ont leur manière de servir et de populariser leur régime de prédilection. Ils célèbrent l’anniversaire du 10 août 1792, sans doute pour interrompre la prescription des mauvais souvenirs, pour rallier plus sûrement les conservateurs à la république et pour rassurer tout le monde ! C’est ainsi qu’on entre dans ces vacances nouvelles, qu’on travaille au repos du pays, et s’il y a des satisfaits qui trouvent que jamais l’assemblée ne s’est séparée dans des conditions meilleures, c’est qu’ils se contentent de peu. Ils oublient qu’une nation ne vit pas seulement d’une apparence de tranquillité matérielle, et que si malgré tout il y a un malaise visible, obstiné dans les affaires, dans la politique, c’est précisément parce qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait pour arriver à cette période de repos dans les meilleures conditions ; c’est parce que l’assemblée s’est retirée laissant tout en suspens, communiquant son incohérence et sa faiblesse au gouvernement lui-même, ne pouvant rien pour le moment et n’étant pas plus sûre de pouvoir reprendre à l’entrée de l’hiver l’œuvre interrompue aujourd’hui par impuissance.

Lorsqu’après cela on vient demander au pays de se désintéresser de tout, de ne pas s’inquiéter et de jouir en paix de ce répit de quatre mois qui lui est accordé, on ne réfléchit pas qu’on lui demande l’impossible. Ce serait bon s’il y avait un régime régulier, des assemblées ordinaires, un gouvernement défini et constitué. Aujourd’hui il n’y a rien de semblable, il n’y a qu’une souveraineté collective, anonyme et irresponsable, qui n’est rien de plus que la dictature d’une omnipotence parlementaire paralysée par toutes les divisions de partis, occupée à