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petit, disait-il ; je promettrai à ton oncle de donner en ville, à notre retour, toutes les leçons qu’il voudra pour nous rembourser de nos frais de route. — Nous ne nous entretenions plus que de ce congé. Il était décidé que nous ferions la route partie à pied, partie en voiture, lorsque je serais trop fatigué par la marche. Il y avait tant d’étapes jusqu’à son village !

Malheureusement quelques cas de fièvre contagieuse vinrent justement à se déclarer, et l’entrée de l’hôpital me fut rigoureusement interdite. Durant quinze jours, je fus privé de voir Lavrard, quinze jours pendant lesquels le cœur me manqua. Soir et matin, j’épiais la sortie de l’aide-major : — Eh bien ! docteur? — Il va mieux, il va mieux, me répondait-il. — Les docteurs rassurent toujours, même quand ils n’espèrent plus, — observa ma tante. Mon oncle, et j’en étais bien touché, prenait sa part de mon tourment. Il tenait moins en place que jamais. — L’agitation, nous disait-il, le chassait du logis. — Moi, qui ne sortais pas de la caserne, errant tout le jour aux abords de l’hôpital, le temps me parut désespérément long.

Un soir, un des infirmiers frappa à notre porte. Il venait de la part de Lavrard apporter des complimens à ma tante et s’informer de sa santé. Le malade désirait vivement me voir; on l’avait transporté dans une salle, à l’autre bout de l’hôpital, où il n’y avait pas un seul fiévreux. — Lavrard, continua l’infirmier, espérait de la bonté de ma tante qu’elle ne lui refuserait pas de causer avec son élève pendant quelques instans seulement. — Ma tante me laissa partir.

Je suivis l’infirmier, qui ne me dit mot et me conduisit à travers un dédale de corridors sombres. La nuit était venue. Au bout de dix minutes, il ouvrit doucement une porte et me poussa dans la chambre. A la faible clarté d’une lampe pendue au plafond, je distinguai plusieurs lits, dont quelques-uns occupés par des malades. Je restai immobile au milieu de la pièce, n’osant élever la voix et ne sachant vers quel lit m’avancer. — Petit, murmura-t-on près de moi. — C’était Lavrard. Je le reconnus à peine; sa barbe avait poussé, il avait encore maigri, et ses grands yeux paraissaient encore agrandis. J’étais interdit. — Je te fais donc peur? dit-il. — Je m’assis sur le rebord de son lit. Il regarda quelques momens dans un coin de la chambre sans parler. — Rapproche-toi davantage, fit-il enfin tout bas, j’ai à te confier un secret. — Je me rapprochai. Il se tut encore, puis, plongeant la main sous l’oreiller, il en retira ce fifre. — Je te donne mon fifre, dit-il; prends-en bien soin. Tu en joues passablement, mais fais moins sentir ton souffle... Te voilà un grand garçon et raisonnable. Écoute donc ce que j’ai à te confier; écoute bien, car ça me fatigue de parler longtemps... Si je n’avais