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danger est peut-être moins sérieux qu’il ne le semble à première vue, car on a remarqué que le commerce des matières colorantes naturelles, comme l’indigo, l’orseille, la cochenille, bien qu’il ait été ébranlé par l’apparition des couleurs d’aniline, est loin d’avoir été ruiné. Les anciennes couleurs se maintiennent sur le marché par les qualités qui leur sont propres, par les nuances spéciales qu’elles représentent, par leur solidité, et aussi par l’habitude qu’on a de les manipuler. L’usage des tissus teints se généralise, et la consommation des matières colorantes s’accroît au fur et à mesure que la production en augmente ; les anciens produits se vendent moins cher pour soutenir la concurrence des nouveaux. Il en sera peut-être ainsi des couleurs de garance : plus on en fabriquera, et plus on en consommera.

Il y a quelques années, on avait essayé d’acclimater le rubia tinctorum dans le Derbyshire, mais sans succès. Malgré tout, l’Angleterre s’empare aujourd’hui de la production des couleurs de garance par une voie détournée, grâce à ses immenses provisions de charbon fossile. C’est le charbon du Staffordshire qui paraît être le plus riche en anthracène. Les neuf usines à gaz de Londres traitent chaque année 1 million 1/2 de tonnes de houille et produisent 60,000 tonnes de goudron, dont la valeur a déjà doublé à cause de l’anthracène qu’on en retire, ce qui a fait tomber le prix du gaz à moins de 4 centimes les 10 mètres cubes. La quantité totale de goudron que produisent annuellement les usines à gaz peut s’évaluer à 250,000 tonnes, d’où l’on pourrait extraire plusieurs millions de kilogrammes d’anthracène. En outre une source importante de goudron était négligée jusque dans ces derniers temps. On carbonise en France 3 millions de tonnes de houille par an pour la fabrication du coke métallurgique ; grâce au perfectionnement imaginé par MM. Pauwels et Knab, qui ont converti les fours à coke en vastes cornues à gaz où le gaz est utilisé pour le chauffage du four, et le goudron recueilli, on retrouvera environ 130,000 tonnes de goudron de houille par an qui était perdu pour l’industrie chimique.

Retirera-t-on d’autres couleurs des carbures solides ? Cela ne souffre aucun doute. Déjà M. Bœttger a obtenu un orange d’anthracène, et M. Springmühl un bleu magnifique, qui coûterait, il est vrai, 30,000 francs le kilogramme, — légère difficulté qui sera bien vite vaincue, à en juger par ce qui est arrivé pour les couleurs d’aniline.

L’histoire des couleurs dérivées de la houille, qui n’embrasse encore qu’une période de vingt ans, est riche en enseignemens de toute sorte. Elle montre, par des exemples frappans, combien peut être rapide aujourd’hui le développement d’une nouvelle industrie.