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telles que les eaux vannes, les résidus liquides des tanneries, des féculeries, des distilleries, ou pour en détruire la mauvaise odeur, si elles sont déjà corrompues. C’est avec l’acide phénique que l’on désinfecte et assainit la cale des navires, les salles de dissection, les hôpitaux, les écuries, les boucheries, les abattoirs, les morgues où l’on expose des cadavres. C’est l’acide phénique qui empêche l’altération trop prompte des engrais, des matières gélatineuses, de la colle d’amidon, des peaux et des os qui sont envoyés d’Australie en Europe. On l’emploie en chirurgie pour désinfecter les plaies ; c’est l’agent le plus propre à prévenir la transmission des germes putrides qui déterminent diverses affections épidémiques. L’apparition du phénol, que l’on considère aujourd’hui comme le poison spécifique qui tue les infusoires et les champignons, coïncide avec la vogue subite de la théorie biologique des fermens et des miasmes : ce merveilleux antiseptique est venu à point nommé fournir la démonstration pratique de l’existence des germes vivans auxquels on attribue le développement des maladies épidémiques. En dehors des immenses services qu’il rend à la médecine et à l’hygiène, le phénol a donné lieu à d’utiles applications industrielles par les dérivés colorans qu’il fournit : l’acide picrique et l’acide rosolique.

L’acide picrique, dont le nom, tiré du grec, fait allusion à l’excessive amertume de cette substance, se prépare en traitant le phénol par l’acide nitrique. Il a été connu longtemps avant le phénol ; on l’avait d’abord obtenu par la réaction de l’acide nitrique sur l’indigo ou sur d’autres substances organiques, et on le désignait sous les noms d’amer de Welter, amer d’indigo, etc. Il cristallise en prismes d’un jaune citron clair, et il teint les tissus animaux en un jaune brillant. D’après M. Girardin, 7 grammes d’acide picrique suffisent pour teindre en jaune paille 1 kilogramme de soie, 4 grammes pour teindre en jaune citron 1 kilogramme de laine. Les taches jaunes que l’acide azotique produit sur la peau, la laine, la soie, sont dues à la formation instantanée de l’acide picrique. On en dérive encore d’autres couleurs, un rouge grenat, un rouge pourpre, etc. Dès 1847, M. Guinon avait appliqué l’acide picrique à la teinture et à l’impression des soies. On a aussi employé les picrates en médecine, mais il s’est trouvé qu’ils jaunissaient la peau des malades. Enfin on connaît la puissance explosive du picrate de potasse, et les applications que MM. Designolle et Casthelaz en ont faites à la fabrication de nouvelles poudres de guerre en l’associant au salpêtre et au charbon. En supprimant le charbon dans la composition des mélanges, on se procure des poudres grisantes que l’on peut employer avec avantage à charger les torpilles, ou à faire sauter les quartiers de roches ; ces poudres, de couleur jaune, sont formées de picrate et de salpêtre