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Parmi les qualités des couleurs dérivées du goudron, il faut enfin signaler le pouvoir tinctorial qu’elles possèdent. Dans une lecture sur les couleurs mauve et magenta, à l’Institut royal de Londres, M. Hofmann avait placé sous les yeux de son auditoire un bloc de houille et une série de flacons de capacités décroissantes qui renfermaient les quantités de goudron, de naphte, de benzine, de nitrobenzine, d’aniline et enfin de rouge d’aniline, fournies par le même poids de houille ; tout au bout de la série figurait le sac de laine que la matière colorante suffisait à teindre. La masse de laine reproduisait le volume du bloc de houille. Or une tonne de houille de 1,000 kilogrammes fournit à peu près 40 kilogrammes de goudron, qui donnent 800 grammes d’aniline et 250 grammes de rouge cristallisé ; c’est du poids de la houille employée.

Pour les nombreuses matières colorantes dont nous avons parlé jusqu’ici, et qui sont d’ordinaire comprises sous la dénomination générale de couleurs d’aniline, le véritable point de départ de la fabrication est la production de la benzine que l’on extrait des huiles légères du goudron de houille. Il existe d’autres dérivés du goudron qui fournissent également des séries de couleurs artificielles propres à la teinture : les plus importans sont l’acide phénique, la naphtaline, et surtout l’anthracène, qui permet d’obtenir à bas prix le principe colorant de la garance.

Le phénol ou acide phénique a été découvert par Runge en 1834, en même temps que le kyanol. Le chimiste allemand l’avait retiré de l’huile brute de goudron au moyen de la chaux, et l’avait nommé acide carbolique. On le retire aujourd’hui des huiles qui passent à la distillation entre 150 et 200 degrés, en les agitant avec une dissolution concentrée de soude caustique. Le nom de phénol, qui vient du grec phaino (j’éclaire), rappelle que cette substance est un des produits accessoires de la fabrication du gaz d’éclairage. L’acide phénique pur est incolore, solide à la température ordinaire ; il a une saveur acre et brûlante et possède des propriétés caustiques d’une énergie remarquable, qui permettent de l’employer avec avantage à la cautérisation des piqûres d’insectes ou de serpens. C’est un des meilleurs antiputrides et désinfectans connus : il arrête les fermentations par la destruction des fermens. C’est à lui que sont dues les propriétés antiseptiques bien connues du goudron et des huiles pyrogènes ; il forme la partie active du coaltar employé au pansement des plaies. La créosote du commerce n’est souvent autre chose que du phénol plus ou moins pur ; la véritable créosote, que l’on extrait du goudron de bois, est un corps d’une composition chimique différente. Quelques gouttes d’acide phénique suffisent pour empêcher la putréfaction des matières organiques les plus altérables,