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cette dernière difficulté finira par être vaincue comme l’ont été toutes les autres.

Un caractère remarquable des matières colorantes azotées dérivées de l’aniline, c’est leur puissante affinité pour les fibres animales, qui permet d’opérer la teinture sur la soie et la laine directement, sans mordant ; une simple immersion dans le bain du tissu ou de l’écheveau, préalablement mouillé à l’eau et essoré, suffit pour fixer la couleur. On peut imprimer aussi sans difficulté les couleurs d’aniline sur toutes les étoffes de soie et de laine, en les associant à toute autre couleur et même à des fonds noirs ou marron foncé. Il n’en est pas de même pour les fibres végétales, comme le coton, qui exigent l’intervention des mordans. On imprime les couleurs d’aniline sur le coton en y mêlant de l’albumine et en vaporisant le tissu : sous l’action de la vapeur chaude, l’albumine se cuit et se teint en même temps. C’est par le même procédé qu’on fixe sur le coton les couleurs minérales insolubles, comme l’outremer, le noir de fumée, le vert Guignet. Un autre moyen de fixer les nouvelles couleurs consiste à imprimer sur des tissus préparés au tannin.

Le noir d’aniline mérite une mention à part : au rebours des autres couleurs de même origine, il ne peut être appliqué directement que sur les tissus de coton[1]. Découvert en 1862 par le chimiste anglais Lightfoot, il fut bientôt abandonné, parce que le perchlorate de cuivre qui servait à le préparer brûlait les instrumens et la fibre de l’étoffe. M. Lauth a fait disparaître cet inconvénient en substituant le sulfure de cuivre au chlorure. Ce noir ne se fabrique pas séparément, il se développe au bout de vingt-quatre heures par l’oxydation de l’aniline sur la fibre textile. C’est une couleur d’impression qui ne peut servir à la teinture en cuve. Insoluble dans l’eau, l’alcool, l’éther, le savon bouillant, les alcalis, les acides, le chlore ne l’attaque qu’à la longue. La solidité et la beauté de ce noir le rendent très important pour les fabricans d’indienne. Dans une conférence publique sur les couleurs d’aniline, M. Guignet a montré, comme échantillons d’impression en noir d’aniline, un mouchoir réglementaire pour faciliter l’inspection des sacs de la troupe de ligne, et une carte de France exécutée sur calicot avec une finesse de détails et une intensité de noir inconnues jusqu’ici. L’oxydation de l’aniline par la nitrobenzine en présence du fer a donné récemment à M. Coupler un bleu-noir qui sert à la préparation de l’encre des écoles, dont les taches sur les tissus de coton s’enlèvent par un savonnage.

  1. M. Schützenberger a vu le noir d’aniline imprime sur soie ; on avait végétalisé la fibre par immersion dans un bain de cellulose dissoute dans l’oxyde de cuivre ammoniacal.