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magnifique ; mais, son procédé reposant sur l’emploi des iodures d’éthyle et de méthyle, le prix de l’iode, qui est une substance relativement chère, monta bientôt de 20 francs à 100. En très peu de temps, la demande d’iode pour la fabrication des violets s’élevait à 50,000 kilogrammes par an, — la moitié de la production totale, qui est fort limitée ; les pharmaciens ne savaient plus où prendre l’iode dont ils avaient besoin, la fraude s’en mêla, et il fut administré à plus d’un malade du bromure de potassium au lieu d’iodure. Aussi le violet Hofmann a-t-il déjà été détrôné par le violet de Paris, que M. Poirrier prépare en introduisant directement les radicaux alcooliques dans l’aniline du commerce par la méthode de substitution que l’on doit à M. Berthelot, avant de soumettre cette aniline au traitement qui doit la changer en rosaniline. Il est possible que le produit final soit le même dans les deux cas, mais le nouveau procédé a l’immense avantage d’éviter l’emploi de l’iode et d’être par conséquent beaucoup moins coûteux. À la suite de cet heureux changement, le prix de l’iode est déjà tombé à 50 francs, et il ne tardera pas à baisser davantage. Le nouveau violet fournit encore par un traitement fort simple un beau vert-lumière, qu’on a vu figurer, il y a deux ans, à l’exposition de Lyon.

On ne compte plus les moyens imaginés par les chimistes de tous pays pour dériver de nouvelles matières colorantes de l’aniline et des bases homologues. Parmi ces découvertes, beaucoup sont dues au hasard et n’ont guère de valeur pratique. L’aniline est comme un kaléidoscope auquel il suffit de toucher pour voir apparaître des groupemens d’atomes imprévus et des couleurs qu’on ne cherchait pas. Après les divers violets, les rouges et les bleus, on a trouvé les verts d’aniline, des jaunes et des bruns, et le noir d’aniline, ou même plusieurs noirs, en comptant le noir-bleu de M. Coupier. Malheureusement ces couleurs si franches et si brillantes ont un défaut commun : elles manquent de solidité. Les couleurs fournies par les sels de rosaniline notamment passent vite, elles ne résistent ni à la lessive, ni au savonnage, ni au soleil. Ce défaut n’est peut-être pas très sensible pour l’emploi qu’on en fait, car elles servent avant tout à teindre les fragiles tissus destinés aux toilettes féminines, qui n’ont point la vie dure comme les vêtemens des hommes ; il s’ensuit que la couleur dure autant que l’étoffe. C’est un signe du temps qu’en général l’acheteur recherche plutôt l’éclat et le bon marché que la solidité ; ces couleurs fugaces, belles et bien vite fanées comme les fleurs qui ne durent qu’un printemps, répondent au goût du public. On se préoccupe néanmoins de les rendre plus stables : les nuances plus solides chassent du marché leurs rivales convaincues et atteintes d’instabilité, et le perfectionnement incessant des procédés de fabrication fait prévoir avec certitude que