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changeait l’aspect des rues et des lieux publics par l’éclat insolite des toilettes féminines. Comme le prix du rouge d’aniline était d’abord fort élevé (il se vendait 1,200 francs le kilogramme), les chimistes cherchèrent à l’envi des procédés pour le fabriquer à bon marché ; on lança dans la circulation une foule de matières colorantes plus ou moins semblables à la fuchsine, et cette concurrence eut pour résultat d’une part de nombreux procès, et de l’autre l’abaissement progressif du prix du produit original ; aujourd’hui le kilogramme de fuchsine vaut 50 francs. Le prix de l’aniline s’est abaissé dans des proportions analogues : vendue d’abord au prix de 150 francs le kilogramme, elle tomba en peu de temps à 25 francs, et on la trouve aujourd’hui très pure au prix de 2 ou 3 francs le kilogramme. Les diverses fabriques d’aniline installées en Europe livrent au commerce 12,000 kilogrammes de cet alcali par jour.

M. Hofmann, le célèbre chimiste de Londres qui avait, avant M. Verguin, entrevu la naissance du rouge par la réaction d’un chlorure sur l’aniline, entreprit l’étude approfondie de la nouvelle couleur, et il résulte de ses recherches qu’elle est fournie par un alcali incolore qu’il appelle rosaniline, et qu’il considère comme formé par la soudure d’une molécule d’aniline et de deux molécules de toluidine. Le procédé généralement employé aujourd’hui pour la fabrication de la fuchsine repose sur l’emploi de l’acide arsénieux, que l’on fait réagir sur l’aniline du commerce, c’est-à-dire sur un mélange d’aniline et de toluidine ; permet d’obtenir un rendement considérable en rouge cristallisé, — plus de 33 pour 100 du poids de l’aniline, tandis que les anciens procédés ne donnaient que de 2 à 5 pour 100[1]. Le rouge d’aniline se présente sous la forme de cristaux verts à reflet cuivré ; cette couleur verte est la teinte complémentaire du rouge que la fuchsine produit sur les tissus. L’énorme consommation d’acide arsénieux qu’entraîne cette fabrication n’est pourtant pas sans danger pour la santé des ouvriers et pour l’acheteur qui emploie le produit ; aussi a-t-on fait dans ces derniers temps quelques tentatives pour remplacer l’acide arsénieux par la nitrobenzine, comme l’avait proposé M. Coupler dès 1866.

Après les diverses nuances de rouge et de violet, on ne tarda pas d’obtenir aussi de belles teintes bleues à l’aide de dérivés des mêmes bases. En chauffant la rosaniline avec l’aniline, MM. Girard et de Laire ont produit des violets et des bleus d’une grande richesse, notamment le bleu de Lyon. M. Hofmann, en introduisant dans la rosaniline un ou plusieurs atomes des radicaux alcooliques (éthyle et méthyle), a préparé ensuite des nuances graduées d’un violet

  1. M. Coupier prétend obtenir jusqu’à 50 pour 100 en remplaçant le mélange par la toluidine pure.