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ne peut imposer sa volonté à la minorité, car celle-ci est souveraine. De là le veto en Pologne, de là partout au moyen âge le droit reconnu aux corps et aux individus de ne se soumettre qu’aux lois qu’ils ont votées. Telle était aussi la règle dans les états provinciaux des Provinces-Unies; ils étaient composés de nobles siégeant en personne et des délégués des villes, et ceux-ci devaient se renfermer dans les instructions reçues de leurs commettans. Ainsi un impôt, pour être valablement voté, devait être accepté par les administrations de toutes les villes ayant siège aux états. De même que la république était une fédération de provinces, ainsi la province était une fédération des cités et des nobles. La souveraineté était ainsi éparpillée sur toute la surface du pays, elle n’était concentrée nulle part. Rien n’est plus opposé que ce régime à l’idée d’une république unitaire, que les républicains français ont empruntée à la Grèce, et qu’ils n’ont pas encore abandonnée aujourd’hui.. Leur idéal au fond n’est autre que l’absolutisme, sauf que le pouvoir est exercé par une assemblée au lieu de l’être par un homme. Il ne faudrait pas oublier que, sans une autonomie très forte des provinces et des communes, il n’y a ni république ni démocratie.

La compétence des états provinciaux s’étendait à tout, comme le prétendait Jean de Witt, elle n’était limitée que par les privilèges des villes et les attributions peu nombreuses des états-généraux. Les assemblées provinciales votaient les impôts nécessaires pour couvrir les dépenses de la province et pour payer les subsides réclamés par le conseil d’état et affectés aux services de l’union; elles décidaient les propositions que leur soumettaient les états-généraux concernant la guerre, la paix, les traités d’alliance; elles faisaient les lois et les règlemens, mais applicables seulement dans la province; elles levaient les troupes et nommaient les officiers, elles concédaient des privilèges aux communes et battaient monnaie, mais conformément à une loi qui s’appliquait à toute l’union. Dans les états provinciaux, à côté des délégués des villes, siégeaient les nobles, qui étaient censés représenter les campagnes. L’aristocratie fut toujours moins puissante ici que dans le reste de l’Europe féodale. Les hommes libres des anciennes tribus bataves et frisonnes conservèrent leur indépendance et leur propriété, et le pays, très pauvre à l’origine, ne s’enrichit plus tard que par le commerce et la pêche, qui donnèrent le pouvoir à la bourgeoisie. Les principaux nobles s’appelaient ambachts-heeren ; ils n’étaient autres que les ambacti dont parle César. Ils rendaient la justice dans les villages, y intervenaient dans l’administration par un bailli et conduisaient leurs hommes à la guerre.

Comme rémunération de ces fonctions, ils recevaient la jouissance viagère d’un domaine, ambachis-heerlyckeden, dont une usurpation