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timbre, de ce que rapportaient les pays de la généralité et surtout des aides (beden, petitien), payés par les provinces comme subside ordinaire ou extraordinaire. L’article 6 de l’union d’Utrecht décidait que certains impôts indirects seraient votés par les états-généraux et perçus directement par ses employés, mais la susceptibilité de l’esprit provincial y mit toujours obstacle. Le revenu, et par suite l’existence de l’union, dépendait donc de la bonne volonté de chacune des sept provinces, — l’opposition de l’une d’elles dans des circonstances graves pouvait mettre l’état tout entier en danger de périr.

La force de cohésion des États-Unis provient au contraire de ce que le pouvoir fédéral a un revenu suffisant voté par le congrès et perçu par ses agens. Le bon sens des Néerlandais empêcha le vice des institutions d’amener des catastrophes, mais les provinces les moins zélées parvenaient par des retards à faire payer leur part aux autres, et il en résultait des discussions très aigres et des tiraillemens sans fin. Voici quelle était la quote-part de chaque province : sur 100 florins, la Hollande en payait 58, la Gueldre 6, la Zélande 10, Utrecht 5, la Frise 12, Overyssel 3, Groningue 5, et Drenthe 1. Pour lever les sommes relativement considérables qu’exigeaient les besoins de l’état et de la province, on avait mis des impôts sur tout : sur le pain, la viande, le sel, le savon, le bétail, les terres cultivées, les procès, les ventes au poids (waag geld) et à la mesure (op de ronde mat), sur la laine, les draps, le poisson, les fruits, les denrées coloniales, les domestiques, les servantes et les voitures, sur les enterremens et les mariages. Le génie de la fiscalité n’avait rien épargné, et les financiers de tous les pays pouvaient trouver des précédens dans cet arsenal; — comme le dit Temple dans ses Remarques, chapitre VII, » avant que l’on puisse servir un plat de poisson avec sa sauce ordinaire, il faut qu’il ait payé trente droits différens. »

La Néerlande jouait alors en Europe un rôle fort au-dessus de sa taille. Pour qu’un si petit pays pût lutter seul successivement contre des colosses comme l’Espagne, la France et l’Angleterre, il lui fallait faire des sacrifices énormes; mais il s’y résigna, parce qu’il savait pourquoi il payait et qu’il s’imposait lui-même. L’envoyé français Buzenval écrivait : « Il s’est rarement vu moins de murmures dans de si grandes charges comme celles qu’ils portent. » C’est sans doute en pensant à la Hollande que Montesquieu disait : « Règle générale, on peut lever des tributs plus forts à proportion de la liberté des sujets. » D’après Temple, le revenu ordinaire de la république s’élevait à 21 millions de florins ou plus de 44 millions de francs. En temps de guerre, les dépenses étaient bien plus considérables, et on y faisait face au moyen d’emprunts.