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droits de l’homme les bases et les formes de leurs institutions nouvelles : périlleuse entreprise, et qui semble au-dessus des forces humaines. Elle pouvait réussir, et encore pour un temps limité, dans ces républiques grecques qui n’étaient que des cités, et où il ne s’agissait de régler que les rapports d’un petit nombre de familles vivant aux dépens de leurs esclaves; mais trouver et construire pour ainsi dire à neuf les institutions politiques qui conviennent à un grand pays dont la vie économique repose sur le travail libre, voilà ce que n’ont su faire ni les plus éminens esprits comme Locke ou Rousseau, ni les assemblées les mieux composées comme celles qui se succèdent en France depuis près d’un siècle. L’école philosophique a raison quand elle soutient qu’un peuple peut changer sa constitution et ses lois; mais l’école historique n’a pas tort quand elle met les nations en garde contre les difficultés et les dangers d’une pareille tentative. La situation géographique, le climat, les productions du sol, les mœurs, les souvenirs, le culte surtout, donnent à chaque peuple un caractère propre qui exige dans l’organisation politique des formes particulières que l’esprit le plus pénétrant ne découvrira pas, mais qui naissent spontanément des besoins successifs, quand la tradition n’est pas violemment interrompue. Si la France en 1789 avait, comme les Pays-Bas deux siècles auparavant, conservé et généralisé les états provinciaux pour en faire sortir une assemblée nationale représentant le pays tout entier, elle aurait probablement fondé des institutions libres sans passer par les dures épreuves qu’elle traverse depuis quatre-vingts ans, et dont on n’entrevoit pas encore le terme. Lors de la pacification de Gand en 1576 et de l’union de Bruxelles en 1577, les dix-sept provinces des Pays-Bas voulaient rester unies et défendre leurs privilèges, même les armes à la main, mais sans se soustraire à l’autorité légitime du souverain. C’est seulement après la prise d’Anvers et quand les provinces méridionales furent reconquises par les armes espagnoles que les provinces du nord constituèrent en 1585 une fédération indépendante sur la base de l’union d’Utrecht.

L’acte d’union établissait une alliance perpétuelle entre les provinces, qui devaient s’assister l’une l’autre dans tous les cas, et contribuer toutes également aux dépenses communes. Tous les habitans étaient tenus de porter les armes; ni la paix, ni la guerre, ni les impôts, ne pouvaient être votés que de commun accord. Nulle province ne pouvait faire d’alliance particulière, sage prescription que les Suisses avaient omise jadis, et toutes étaient tenues de se faire représenter aux états-généraux. Cette dernière clause n’était pas inutile. Précédemment plusieurs provinces, le Luxembourg, Groningue et la Frise surtout, refusaient de paraître aux états en vertu du privilège de non evocando. Comme aujourd’hui la Bohême