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même on peut dire qu’il l’est beaucoup moins. Il n’y a de trace de raideur et d’archaïsme byzantin que dans une seule figure, celle du Christ, qui s’enlève mal et qui s’encadre gauchement dans son lumineux qu’on dirait formé par la réunion de deux arcs-en-ciel. « À cette époque, on ne savait ce que c’était que la composition ; » ne croirait-on pas qu’il s’agit d’une lointaine époque barbare? mais le tableau est de 1495, et nous sommes en pleine renaissance. « Les figures sont placées au hasard à côté les unes des autres et pourraient être déplacées sans que le tableau en souffrît. » Les figures sont si peu placées au hasard et pourraient si peu être déplacées que c’est précisément dans leur ordonnance, comme nous allons le montrer, que consiste la grandeur théologique de la composition du Pérugin; quant à cette simplicité de disposition, en quoi faut-il l’attribuer à l’ignorance de la composition? Les artistes italiens en ont donné cent exemples à toutes les époques. Titien était, j’imagine, un peintre sachant composer; eh bien! qui ayant vu Rome ne se rappelle son tableau du Vatican, la Vierge entourée de saints? c’est une disposition analogue, et plus simple encore, s’il est possible. Il y a mieux, Raphaël savait ce qu’était la composition encore plus certainement que Titien; eh bien! qu’est-ce que l’ordonnance de sa fresque célèbre connue sous le nom de la Dispute du Saint-Sacrement, sinon celle de l’Ascension du Pérugin, c’est-à-dire des personnages rangés en demi-cercle avec des expressions et des attitudes variées? Il n’y a de différence que dans la grandeur de la scène et le nombre des personnages, mais au fond le procédé de composition est identique, et Raphaël, en composant ce chef-d’œuvre de la peinture à fresque, peut même s’être rappelé le tableau de son maître.

Le Christ vient de s’envoler; on l’aperçoit déjà rapetissé par la distance et comme noyé dans la lumière colorée des deux arcs qui l’entourent, arches d’alliance et symbole de la paix conclue entre la terre et le ciel. En bas, rangés en demi-cercle, les apôtres suivent du regard la fuite de celui qui leur laisse à faire fructifier un si riche et si lourd héritage; au centre la Vierge, à ses côtés saint Pierre et saint Paul. Comme le Pérugin n’ignorait pas que saint Paul n’assistait pas à la scène de l’ascension, puisqu’il n’adhéra au christianisme que longtemps après Jésus, sa présence aux côtés de la Vierge suffit à prouver, contre l’assertion de Mérimée, que la place occupée par les personnages n’est nullement arbitraire, et en outre qu’il faut chercher dans ce tableau non une représentation dramatique de l’ascension, mais une conception théologique. Cette réunion d’hommes rangés en demi-cercle, ce sont les élémens constitutifs du christianisme, rangés selon leur degré d’importance et