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des fleuves et de conquérir ainsi à Lyon tout le quartier qui porte son nom, Ainay se trouva, sans bouger de place, transportée en terre ferme et étouffée entre deux haies de très hautes maisons. Elle serait de force peu commune l’imagination qui serait capable aujourd’hui d’évoquer, rue de Bourbon, les visions de l’autel d’Auguste, de sainte Blandine et du solitaire Badulphe.

De tous les vestiges du long passé qui l’avait précédée et dont elle avait hérité, il ne reste plus à Ainay que les colonnes qui forment le chœur, et quant à ses souvenirs personnels à elle, le seul vraiment important est celui de sa consécration par le pape Paschal II au commencement du XIIe siècle, lorsque, fuyant de Rome à l’approche de l’empereur Henri V, il vint chercher un refuge en France; nous l’avons déjà rencontré en Nivernais consacrant à la même époque l’église de La Charité, nous pourrons le rencontrer ailleurs encore, car c’était le temps où, selon l’expression si heureusement pittoresque de Raoul Glaber, le monde se revêtait de la blanche robe des églises, et très nombreux sont les édifices religieux qui furent alors consacrés par le pape fugitif. Au pied du maître-autel, une pierre représentant le pontife serrant l’édifice entre ses bras garde encore témoignage de cette consécration. Parmi les souvenirs d’Ainay figure une anecdote qui se rapporte non pas à l’église même, mais à l’abbaye disparue dont elle dépendait. C’est ici que le chevalier Bayard fit le premier de ses bons tours. Il était alors un tout jeune garçonnet au service du duc de Savoie, riche d’espoir, mais court d’argent, ce qui est souvent grande gêne pour atteindre à ce renom qu’il grillait d’acquérir, et justement il s’en présentait une occasion admirable. Des joutes allaient avoir lieu à Lyon, où son maître était venu pour s’aboucher avec le roi Charles VIII, et Bayard n’avait pas une obole pour s’acheter une monture et un équipement. Un camarade avisé, nommé Bellabre, le fit alors penser à un de ses oncles, qui était justement abbé d’Ainay;... mais à quoi bon vous raconter par le menu cette aventure? donnez-vous le plaisir de la chercher et de la lire dans ce joli livre, à moitié chronique, à moitié roman de chevalerie, comme il fut de mode d’en écrire sous le règne de François Ier, intitulé le Bon Chevalier sans peur et sans reproche ; vous y verrez comment l’oncle céda chichement aux instances de son neveu, et comment celui-ci sut par adresse doubler le crédit qui lui avait été donné. En dépit de la rareté de ses souvenirs, en dépit du lourd et massif voisinage de maisons qui lui a été imposé par la création du quartier de Perrache, elle est pourtant encore bien jolie cette église d’Ainay, avec la décoration romane de losanges rouges et noirs de sa façade, son élégant baptistère, sa charmante nef, son chœur à coupole extérieurement surmonté d’un