Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/857

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’associe-t-il d’une manière quelconque avec le souvenir du pauvre autel de bois et de pierre construit par Pothin au pied de la colline du premier Lyon? Voyons si nous serons plus heureux avec une autre ; voici l’église d’Ainay. Celle-là au moins a conservé intacte à travers toutes les reconstructions dont elle a été l’objet sa charmante architecture byzantine des Xe et XIe siècles; en a-t-elle mieux gardé ses souvenirs? Hélas! non, car elle a perdu son site, et ses souvenirs ne conservaient de vie que par son site. Comme le lecteur comprendrait difficilement qu’une église puisse perdre sa position, expliquons comment cette aventure est arrivée à Ainay.

C’est là qu’était autrefois le point de confluent du Rhône et de la Saône, et c’est là qu’il était encore il n’y a pas plus d’un siècle. L’emplacement d’Ainay formait la pointe extrême de l’espèce de péninsule comprise entre les deux fleuves, et cette pointe sous la domination romaine était considérée comme marquant la dernière limite de la partie de la Gaule désignée sous le nom de Celtique. Aussi le lieu était-il en grande vénération, et, comme c’était un usage gaulois d’élever des autels au confluent des fleuves, il parut digne de servir d’emplacement à un autel en l’honneur d’Auguste : il y fut élevé aux frais de soixante nations de la Gaule; les colonnes de marbre qui entourent le chœur de l’église actuelle en sont un reste. La célébrité de ce lieu ne fit que s’accroître lorsque Caligula, aux spirituelles énormités, y eut établi des concours d’éloquence dont une des règles principales obligeait le candidat malhabile ou malheureux à effacer son discours avec sa langue, et des jeux que les premiers chrétiens se chargèrent bientôt d’alimenter de victimes à présenter aux gladiateurs et de chair vivante à offrir aux bêtes. Les persécutions s’apaisèrent, l’autel d’Auguste, subissant le sort de toutes les choses de ce monde, fut détruit et oublié; ces lieux si bruyans devinrent déserts, et alors un de ces solitaires qui abondent dans nos premières annales religieuses, entre le IIIe et le Ve siècle, et dont les cabanes et les grottes ont été l’origine de tant de sanctuaires fameux, — Hilaire de Poitiers, Amadour du Quercy, etc., — vint s’y établir. La réputation de Badulphe, — c’était son nom, — attira autour de lui de fervens imitateurs; ce fut le noyau d’un monastère. Le monastère grandit, devint abbaye ; il en reste l’église actuelle, construite entre la fin du Xe et la fin du XIe siècle. Tant qu’elle a conservé sa situation au confluent des deux fleuves, ses vieux souvenirs pouvaient assez aisément s’associer à son existence, car le paysage qui l’environnait était exactement le même qui avait vu l’autel d’Auguste, le martyre de sainte Blandine et la cabane de Badulphe; mais au dernier siècle l’ingénieur Perrache ayant eu l’idée de reporter plus loin le confluent