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faudrait pas croire que ce soit un talent exclusivement enfermé dans les sujets gracieux; cet auteur de tant de Vierges charmantes est capable des entreprises qui réclament le plus de force; il l’a prouvé dans cette colossale Notre-Dame de France, fondue avec les canons de Sébastopol, que nous venons, il y a quelques semaines, d’admirer au Puy, œuvre difficile s’il en fut, et dont il s’est tiré avec un bonheur qui n’échoit jamais qu’aux artistes sûrs d’eux-mêmes. On me parle d’un tombeau qu’il a exécuté pour le cardinal Gousset avec des éloges que je n’hésite pas à croire mérités, car celui qu’il a consacré à M. Morlhon, évêque du Puy, au pied même de la statue de Notre-Dame de France, ne laisse rien à désirer pour la simplicité et l’expression.

M. Bonnassieux possède donc cette souplesse de nature sans laquelle il n’est pas de véritable artiste, car seule elle permet la variété et la fécondité. Ajoutez que ce savoir et cette souplesse n’ont recours à aucune habileté, à aucun artifice, même à ceux qui sont le plus légitimes, en sorte que l’exécution chez lui est aussi naïve que la conception. C’est plaisir par ce temps de charlatanisme de rencontrer un talent exempt à ce point de tout mensonge du procédé. Et cette sincérité le sert mieux que ne le servirait l’habileté la plus adroite. Allez par exemple au palais de la Bourse de Lyon admirer la ravissante horloge qu’il y a sculptée. Toutes les œuvres de ses confrères, ai-je dit déjà, s’effacent et disparaissent devant cette petite merveille, ce qui n’a rien d’extraordinaire, le propre d’une chose excellente étant de rejeter dans l’ombre celles qui le sont moins; mais ce qui est singulier, c’est qu’on a le sentiment qu’il n’en serait pas ainsi pour cette horloge quand bien même on l’entourerait des plus grandes œuvres, et qu’elle conserverait son droit à un quart d’heure d’attention, même après que le visiteur se serait lassé d’admirer autour d’elle. Je demande à un juge dont personne ne récusera la compétence, éminent artiste lui-même, M. Guillaume, notre directeur de l’École des Beaux-Arts, la raison de cette singularité. « C’est, me répond-il, qu’elle ne peut pas plus échapper à l’attention que le monument lui-même : l’artiste a appliqué tout bonnement, tout naïvement les lois de son art; il s’est dit que son œuvre devait faire partie intégrante de la paroi à laquelle elle appartenait sans chercher à valoir égoïstement par elle-même ; pas le moindre coup de pouce, pas le moindre rehaut, aucun de ces artifices par lesquels les artistes essaient de donner souvent plus de relief à leur œuvre, afin de la détacher de l’ensemble dont elle fait partie, de lui créer une sorte d’indépendance, et d’attirer ainsi sur elle plus sûrement l’œil du curieux, ambition toujours fatale, car elle détruit l’harmonie d’un ensemble, et souvent punie, car, si l’œuvre qui attire ainsi l’attention n’est pas excellente, elle perd le bénéfice de