Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/843

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout pays, la véritable initiation aux arts de l’élégance et au goût de la beauté est venue surtout de l’aristocratie; aucune autre des grandes puissances de l’histoire, ni la royauté, ni le clergé, ne peut se comparer à elle sous ce rapport. Le très grand avantage des œuvres de l’aristocratie, relativement aux œuvres de la royauté et du clergé, c’est, tout en cherchant la beauté et la grâce, de garder des proportions individuelles en quelque sorte, de créer ainsi un idéal de perfection qui se propose à l’imitation de ceux qui réunissent ou peuvent espérer de réunir les moyens de le réaliser, et de donner à tous sans exception des leçons de goût et de correction. Les très grandes œuvres par leur caractère trop général, et par conséquent impersonnel, décourageant soit l’imitation, soit l’émulation, restent beaucoup plus stériles : jamais particulier ne se proposera d’imiter le Louvre ou Notre-Dame; au contraire il peut suffire d’une vingtaine d’hôtels seigneuriaux pour modifier ou même pour créer l’architecture de toute une ville. Même chose pour tous les arts de l’élégance et de la vie sociale; les leçons que l’aristocratie donne aux populations soumises à son influence étant données de fort près, en dépit de la différence des conditions, et ayant autant d’occasions de se renouveler qu’il y a dans la vie de chaque jour de nécessités diverses, pénètrent directement dans le vif des mœurs et y touchent but à tout coup. En outre ces leçons ont l’avantage d’être disséminées, c’est-à-dire données à la fois en cent endroits différens, chaque famille d’une aristocratie étant un centre particulier agissant indépendamment des autres. A tout pays où l’influence de l’aristocratie ne s’est pas fait sentir, il manquera toujours quelque chose sous le rapport du sentiment et du goût de la beauté, et c’est là beaucoup l’histoire de Lyon. Si l’influence de l’aristocratie y a été faible et presque nulle, celle du clergé y a été au contraire forte et longue; mais nulle part le clergé n’a été, ce qui se comprend fort aisément d’ailleurs, un initiateur aux arts qui font l’ornement de la vie, et la liberté populaire des mœurs, qu’il a partout favorisée, s’est toujours exercée aux dépens de la véritable élégance et de la véritable politesse. Toute population soumise à une aristocratie corrige et amende sa nature plébéienne, toute population soumise à un clergé la conserve au contraire sans altération, car, si elle subit une domination morale plus haute, elle subit au contraire une contrainte sociale infiniment moindre. Le commerce étant donc resté seul maître véritable de la ville, il n’y a pas à s’étonner qu’il l’ait faite à l’image de ses comptoirs et de ses magasins, et je crois fort que cette même absence de charme qu’on observait dans l’ancien Lyon pourrait s’observer dans toute ville où l’esprit de commerce a régné exclusivement.