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— Jugez-les! jugez-les! s’écria Hryciou d’une voix fanatique.

— Jugez-les! répéta la foule.

— Au cabaret donc ! ordonna Théodosie en levant le bras d’un geste superbe; puis elle ramassa un pieu à demi brûlé.

Aussitôt chacun l’imita, se précipitant sur les débris du moulin, qui fumaient encore, pour s’armer de perches, de chevrons ou de pierres.

Je frémis et courus le plus vite possible à travers champs jusqu’au cabaret, tandis que la commune, hommes, vieillards, femmes, jeunes filles, enfans, unie par une pensée, un sentiment, une volonté uniques, suivait la grande route dans la même direction.


VIII.

En approchant du cabaret, j’entendis des chants retentir. Les sept voleurs, assis autour d’une grande table, buvaient, riaient et plaisantaient entre eux. Cyrille avait une guitare mal d’accord suspendue à son cou par un ruban rose flétri; Stawrowski, un bras passé autour de la belle Juive, la forçait à danser une cracovienne pendant que le Juif comptait de l’argent.

— Vite! dis-je en entrant, sauvez-vous et gagnez sans retard la frontière de Hongrie. La commune veut vous juger, elle est sur vos talons.

— Qu’elle vienne ! s’écrièrent en chœur les bandits.

— Nous juger, nous? fit Cyrille.

Stawrowski se mit à rire : — Ils n’en auront pas le courage, ils s’en retourneront avant d’atteindre le cabaret, je parie.

— Fuyez ! supplia la Juive. Prenez des chevaux !

Le Juif s’avança effaré : — Oui, Cyrille, mieux vaut nous sauver.

Les voleurs éclatèrent de rire. En les regardant assis là tous les sept, jeunes, forts et brillans de santé, il fallait bien reconnaître qu’ils étaient les plus beaux et les plus hardis du village, même de tous les environs.

— Si vous ne voulez pas fuir, repris-je, livrez-vous à la commune, soumettez-vous à son jugement, payez les dommages, jurez de devenir d’honnêtes gens, de travailler.

— Travailler, nous? demandèrent les voleurs étonnés.

— Travailler? pardon,... dit Stawrowski en riant à se tordre comme un enfant.

— Si je ne devais plus voler, s’écria Lapkowitch, garçon imberbe d’une vingtaine d’années, si je ne devais plus voler, je ne voudrais plus vivre. Je crois qu’au berceau déjà j’ai pris à mon frère, — nous étions jumeaux, — le suçon dans sa bouche. Et plus tard aucune pomme, aucune prune n’avait bon goût, si elle n’était dérobée.