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se mirent à former des projets d’avenir en buvant de l’eau-de-vie.

Larion nous accompagna jusqu’à la croix où les chemins se séparent,

— Comment tout cela finira-t-il? dis-je à Théodosie en marchant auprès d’elle dans les champs de blé vert.

— Comment? j’ai fait ce que j’ai dit. Qu’y a-t-il encore?

— Cyrille est capable de tout, il l’a prouvé.

— Qu’il se garde lui-même ! s’écria-t-elle en fronçant le sourcil sur un regard méchant : il a la tête dure, il me veut pour femme, et c’est son entêtement qui est cause que je le repousse, que j’en choisis un autre malgré lui et que je ne m’attristerai guère de le voir s’arracher les cheveux. Quand j’aurai mon mari au logis, vous verrez comme je les ferai marcher à côté l’un de l’autre, au pas, selon mon plaisir, et sans lâcher la bride !


VI.

Un dimanche, après la grand’messe, Théodosie et Larion Radzanko, l’un et l’autre en grand appareil et suivis de toute la noce, se présentèrent chez moi pour m’inviter à leur mariage en se jetant trois fois à mes pieds selon la coutume. — C’est donc tout de bon? demandai-je.

— M. le curé vient de faire à la fois les trois publications, répondit Théodosie, et la cérémonie aura lieu dans l’après-midi.

— Dieu veuille que tout aille bien, dit Larion, qui, visiblement agité, suait à grosses gouttes.

— Et Cyrille?

— Nous venons de l’inviter, dit Théodosie, il n’a pas même eu l’air surpris; au contraire il nous a offert de l’eau-de-vie et promis de venir.

— En ce cas, je suis content aussi.

Sur le chemin qui conduisait à la maison de la mariée, je rencontrai Cyrille paré, un gros bouquet et des rubans de diverses couleurs au chapeau, un autre bouquet à la ceinture; ses yeux étincelaient d’une lueur étrange; il s’arrêta comme pour réfléchir, puis entonna un refrain bachique en reprenant sa marche. Je le rejoignis. — Que fais-tu? lui criai-je à quelques pas de distance. — Il tourna la tête :

— Je cherche à prendre l’humeur d’un jour de noce.

— Tu y vas donc ?

— Naturellement, elle m’a invité elle-même, et comment? Elle était hors d’elle de joie !

— Suis mon conseil, Cyrille, va-t’en, autrement il arrivera malheur.