canards sauvages. Aux canards était destinée ma visite, sur eux se concentrait toute mon attention, certain jour que je m’étais installé, à l’heure où tombe le crépuscule, dans la cabane abandonnée du garde, mon chien haletant auprès de moi, mon fusil sur mes genoux; mais je ne guettais que depuis peu de temps, quand le frôlement d’une robe de femme détourna mon attention, A travers les planches disjointes, je vis, sans être vu moi-même, une jeune paysanne de taille haute et développée, dont les tresses blondes entrelacées de rubans rouges étaient secouées gracieusement par la marche. Elle se baissait de temps à autre pour ramasser une poire ou une pomme et y imprimait deux rangées de dents éblouissantes. Non loin de moi, la souche d’un noyer formait un siège naturel; la jeune fille s’y assit, mordant aux fruits éparpillés sur ses genoux, pour les jeter ensuite dans l’eau l’un après l’autre, l’œil fixé sur les ricochets qu’ils formaient. Elle attendait quelqu’un sans doute, mais sans témoigner d’impatience; seulement lorsqu’une ombre d’homme longue et noire tomba soudain à ses pieds, elle leva vivement la tête, et un sourire douloureux, qui fit place aussitôt à une profonde rougeur, passa sur ses traits.
L’homme était jeune et beau, non pas selon les règles de la beauté grecque, mais séduisant par la force et la grâce de sa tournure et de ses attitudes, par l’expression singulièrement aimable de son visage résolu, où éclatait la joie de vivre. Il portait les vêtemens du paysan cracovien, les hautes bottes montantes jusqu’aux genoux, les larges chausses en drap bleu, le justaucorps de même couleur et un petit bonnet coquettement taillé dans une peau d’agneau dont la blancheur était mise en relief par le voisinage d’abondans cheveux noirs frisés. En apercevant la jeune fille, ses lèvres rouges aux moustaches soyeuses s’entr’ouvrirent joyeusement sur l’éclair de ses grandes dents blanches. Il lui saisit la main, prit place auprès d’elle, lui passa très librement le bras autour du cou et couvrit de baisers fougueux son joli visage empourpré. Elle le laissait faire, et il me parut que sa mélancolie était mise en fuite par ces caresses. Un peu de temps s’écoula avant qu’elle osât l’interrompre en poussant un soupir. — Eh bien! qu’est-ce que tu as? demanda-t-il. Qu’est-ce qui te fait de la peine? Allons, parle, mon petit lièvre! — De grosses larmes débordèrent des yeux de la pauvrette. — Quoi! tu pleures? — Avec une tendresse indicible, il attira la jolie tête soucieuse sur sa poitrine.
— Tu m’aimes donc encore? murmura-t-elle.
— Si je t’aime?.. Comment ne t’aimerais-je pas?
— Mais qu’est-ce que je deviendrai quand... — Elle hésita et cacha son visage dans ses mains; je voyais le sang monter aux petites oreilles rouges. — Oh! quelle honte, Stawrowski!