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et transportées du domaine de la pensée dans celui des faits. Les voyages de Chamisso, de Robert Brown, d’Alexandre de Humboldt et de Darwin prouvent que chez un esprit bien préparé la vue de nouveaux objets éveille de nouvelles idées, et que la nature, embrassée dans son ensemble, nous enseigne des vérités que les laboratoires spéciaux et les collections de plantes sèches ou d’animaux privés de vie ne sauraient nous révéler. C’est là l’utilité réelle des voyages pour les naturalistes qui ne se bornent pas au rôle de simples nomenclateurs, et cherchent à vivifier par la réflexion les faits matériels que leurs sens ont perçus.

Le dernier voyage autour du monde qui ait été conçu et exécuté sur une grande échelle est celui de la frégate autrichienne la Novara : elle avait à bord une commission scientifique complète, composée du docteur Hochstetter, géologue et physicien, de MM. Frauenfeld et Zelebor, zoologistes, Scherzer, ethnologiste et économiste, d’un horticulteur botaniste, M. Jellineck, et de M. Selleny, peintre et dessinateur. Le commandant, commodore Wüllerstorf-Urbair, était lui-même un homme de science. Des quarante-quatre canons de la frégate, quatorze furent laissés à terre afin d’utiliser l’espace pour des aménagemens scientifiques. La Novara partit de Trieste le 30 avril 1857 ; son voyage fut abrégé par la nouvelle de la déclaration de guerre faite à l’Autriche par la France ; néanmoins elle ne revint que le 26 août 1859, après avoir parcouru 51,686 milles marins, visité 25 ports avec 298 jours de relâche. Au retour, une grande publication a été commencée par les membres de la commission, auxquels se sont adjoints des savans spéciaux. Cet ouvrage, magnifique et excellent sous tous les rapports, fait le plus grand honneur au gouvernement autrichien qui l’a entrepris et aux savans qui l’ont exécuté. On doit en outre à M. de Hochstetter, qui fit un séjour prolongé à la Nouvelle-Zélande, une description très complète de cet archipel et de ses habitans[1].

Malgré sa prospérité matérielle et des intervalles de paix assurés, le second empire ne suivit pas les traditions de l’ancienne monarchie, de la république, de la restauration et du gouvernement de juillet. Pendant les dix-huit ans qu’il a duré, le gouvernement de Napoléon III n’a jamais songé à organiser une expédition comme celle de la Novara. Il y a plus : tandis que l’Angleterre envoyait de véritables flottes à la recherche de Franklin, tandis que les Russes exploraient l’immense étendue des côtes sibériennes pour s’assurer si l’illustre navigateur n’avait pas échoué sur quelque point ignoré de ces rivages déserts, tandis que le pavillon étoile des États-Unis

  1. Neu-Seeland, von Ferdinand von Hochstetter, 1863. — Voyez aussi, dans la Revue du 15 janvier 1868, le Voyage de la Novara, par M. Émile de Laveleye.