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Vanikoro, à l’extrémité de cet archipel Salomon que d’Entrecasteaux, envoyé à la recherche de l’illustre navigateur, avait vainement exploré. La France possédait alors une véritable pépinière de grands navigateurs qui se sont succédé sans interruption en se formant mutuellement à l’école les uns des autres, depuis Bougainville jusqu’à Dumont d’Urville. De même en Angleterre on trouve une série non interrompue d’explorateurs de l’Océan, depuis Cook jusqu’à James Ross.

Le roi Louis-Philippe fut fidèle aux traditions de ses prédécesseurs en favorisant les voyages scientifiques. C’est sous son règne que Dumont d’Urville exécuta son troisième voyage autour du monde sur l’Astrolabe et la Zélée en faisant deux fois les tentatives les plus persévérantes pour s’approcher du pôle antarctique. Wilkie, chef d’une expédition américaine, avait le même but. Tous deux furent moins heureux que James Ross, qui, la même année, découvrit la terre Victoria en pénétrant dans les glaces jusqu’au 78e degré de latitude sud. D’Urville, parti de Toulon le 8 septembre 1837, ne revint que le 8 novembre 1840. MM. Hombron et Jacquinot étaient les naturalistes de l’expédition. D’Urville lui-même, excellent botaniste, a publié la flore des îles de la Mer-Noire et celle des Malouines ou Falkland.

Nous ne mentionnerons que pour mémoire les voyages autour du monde de l’Adventure et du Beagle, de la Vénus, de la Favorite et de la Bonite, qui ont contribué aux progrès de la physique du globe, de la botanique et de la zoologie; mais nous devons faire ressortir l’importance de la seconde circumnavigation du Beagle, toujours commandé par le capitaine Fitzroy, qui s’accomplit pendant les années 1832 à 1836. C’est en visitant successivement à bord de ce navire les côtes de l’Amérique et de l’Afrique méridionales, de l’Australie et les îles de l’Océanie, c’est en voyant la nature si variée dans ses aspects sous des climats différens, c’est en admirant l’équilibre qui résulte de la concurrence vitale des êtres organisés, c’est en comparant les restes des animaux perdus aux animaux vivans actuellement dans la même contrée, que Charles Darwin conçut ces grandes pensées qui, fortifiées et mûries par vingt-cinq années d’études et de méditations, ont inauguré une ère nouvelle dans la philosophie des sciences naturelles. Cette philosophie repose sur l’application aux êtres organisés du principe de la transformation des forces qui régit les sciences physiques; ce sont les théories que Lamarck émettait déjà en 1809 dans la Philosophie zoologique[1], démontrées, agrandies et complétées; ce sont les convictions prophétiques, les intuitions vagues du génie de Goethe, réalisées

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1873.