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de lumière, mais un principe immobile, passif, non militant. Il faut pour combattre l’esprit des ténèbres une autre force lumineuse, active et guerrière. C’est alors qu’Ilia de Mourom s’attaque à Soloveï, Dobryna au Serpent de la Montagne, Alécha Popovitch au monstre Tougarine, Diouk Stépanovitch à Chark le géant. Comme Indra, dompteur du serpent Ahi, comme Sigurd, vainqueur du dragon Fafnir, comme le Bellérophon et le Persée, l’Apollon et l’Hercule des traditions grecques, comme le saint George des légendes chrétiennes, de leur épée fulgurante ils portent à l’ennemi des coups terribles, ouvrent à ses flancs de larges blessures, font couler des ruisseaux de son sang, ondée féconde qui rendra à la terre sa fertilité et à l’astre du jour sa splendeur. Le soleil impassible sur son char d’or ne suffirait pas à cette guerre; pour l’accomplir, il faut les flèches d’or de la foudre qui éventrent les nuages, noirs dragons du ciel.

Hâtons-nous de sortir des généralités, et, comme l’explication mythique de toutes ces bylines nous mènerait fort loin, prenons au hasard, chez M. Miller, deux ou trois scènes héroïques. Ilia est assis immobile depuis trente années, nombre sacramentel qui correspond simplement à la durée de la saison d’hiver. Il est guéri par des étrangers divins qui, dans les bylines postérieures, deviennent Jésus-Christ et ses apôtres, et dans les plus anciennes sont simplement des kaliki voyageurs, allusion aux nuages qui passent. Ils le guérissent avec un breuvage, l’eau vivifiante, qui en avril, lorsqu’elle tombe en pluie féconde, réveille les énergies de la nature. Ilia se lève précisément au printemps, au temps de Pâques, à l’heure même, disent quelques bylines, où l’on chante dans les églises ; Christ est ressuscité ! C’est donc bien l’année nouvelle qui sort de sa léthargie hivernale. Ilia « ne doit pas mourir en bataille; » il ne peut que retourner, après avoir accompli la série de ses exploits, à ce sommeil de pierre, où la saison froide emprisonne la nature. — Une autre de ses aventures rappelle celle de Thor : il disparaît un moment dans la poche de Sviatogor, comme le dieu germain dans le gant du géant Skrimir. Ilia ou Thor, c’est la foudre longtemps recelée dans la nuée; seulement la chanson russe semble perdre ici le fil de l’allusion mythique, fort bien conservée au contraire dans la légende du nord : Thor, prenant enfin son marteau, frappe la tête du géant pour en faire jaillir le sang. — Où le Mouromien se manifeste surtout comme un héros fulgurant, c’est dans sa lutte avec Soloveï. Le brigand obstrue la route qui conduit le plus directement au prince-soleil, — depuis combien de temps? juste depuis trente ans, c’est-à-dire pendant tout le temps qu’a duré la léthargie d’Ilia. Qu’est-ce que Soloveï? Il a figure d’oiseau, son nom l’indique assez; il a un nid sur sept chênes, il a des fils qui peuvent se changer