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la draperie, et d’une seule poussée les jette tous à terre et les brise en mille pièces. — Ces dix-neuf vases restant auraient pu coûter, dit-il, la vie à dix-neuf personnes. Prenez la mienne, ce sera bien assez. — Le daïmio comprit la leçon, et fit grâce à tout le monde. » La sagesse de ces contes est relevée par une certaine finesse d’observation dans les proverbes qui se trouvent à chaque instant dans la bouche d’un Japonais lettré ou non.


« Si vous haïssez quelqu’un, laissez-le vivre. (C’est un supplice suffisant.)

« Mieux vaut éviter les reproches que rechercher les éloges.

« Les moineaux, quand ils se battent entre eux, n’ont pas peur de l’homme.

« Apprenez en vous blessant le mal qu’endurent les autres.

« Lorsque vous entrez dans un village, suivez la coutume de ce village. (Il faut hurler avec les loups.)

« Si vous parlez d’une personne, son ombre apparaît. (Quand on parle du loup, etc.)

« La grenouille dans son puits ignore l’immense océan.

« Le soldat battu a peur des brins de roseau.

« Le cœur d’un enfant de trois ans lui reste jusqu’à soixante.

« On parle des grands hommes soixante-quinze jours.

« Le dessous du chandelier est noir. (Le plus voisin de l’église est le plus loin du salut.) »


Il faudrait tout citer et aux proverbes proprement dits ajouter les locutions proverbiales telles que : « prêcher Bouddha lui-même » (prêcher un converti), qui, ici comme chez nous, assaisonnent le discours d’une pointe de vive et familière ironie.

Ces locutions du reste ne se trouvent dans la langue que parce qu’elles sont dans le génie de la nation. Généralement gai et souriant, souvent léger et frivole, le Japonais tourne assez volontiers toute chose en plaisanterie, effleure les surfaces avec ce dilettantisme qu’on nous a si sévèrement reproché, et, content d’avoir entrevu un sujet, passe outre sans l’approfondir. Aussi excelle-t-il dans la critique superficielle et badine, dans le pamphlet politique, la caricature et le journalisme d’opposition. Il est tel mémoire d’un fonctionnaire en disgrâce, tel article d’un mécontent, que ne désavoueraient pas les écrivains de la Satire Ménippée ; mais ne demandez pas à l’auteur de ces écrits d’exposer à son tour un système, une mesure à prendre; faute de méthode et de logique, il tomberait lui-même dans des erreurs plus grossières que ses sarcasmes ne sont spirituels.

Essayons de résumer ces aperçus. Il y a peu d’années encore,