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« Les relations entre le ciel et la terre sont une de nos connaissances les plus importantes. Du ciel viennent les lois qui régissent le changement des saisons, les phénomènes de la nature, et règlent les mouvemens de la terre, tandis que sur celle-ci nous avons à étudier les rapports sociaux de l’humanité. Or il y a une grande ressemblance entre ces deux ordres de choses. En ce qui touche le ciel et la terre, le premier dirige et contrôle l’autre. Au printemps, les cieux brillent d’un pur éclat sur les champs, et ceux-ci s’émaillent aussitôt de fleurs variées. Au contraire, lorsqu’en hiver les cieux s’assombrissent, lorsque la neige tombe, la terre perd à son tour sa brillante parure, et, se soumettant aux lois dictées par le ciel, elle prend un aspect désolé. Ce n’est là qu’un exemple, mais on en pourrait citer mille pour montrer combien ce bas-monde rend un constant et nécessaire hommage à la volonté du ciel. Il en doit être ainsi dans les relations des hommes entre eux. Les enfans doivent montrer une piété filiale à leurs parens, les vassaux obéir à la volonté de leur seigneur, et les femmes être soumises à leurs maris. »


Cela ne rappelle-t-il pas le fameux raisonnement : « je suis le plus bel homme de ma chambre?.. »

Puisque cette scolastique nous ramène encore une fois en plein moyen âge, profitons-en pour faire connaissance avec « maître renard. » Il occupe ici, non-seulement dans la littérature, mais même dans les superstitions populaires, une place plus grande encore que dans nos vieux fabliaux. Il se dispute avec le chat et surtout le blaireau (tanuki) le privilège de tourmenter les hommes et de leur jouer de mauvais tours. A combien de femmes jeunes ou vieilles persuadera-t-on, quand le vent ébranle les volets, que ce n’est pas le malin rôdant autour de la maison? Plus d’une s’est souvent entendu appeler par son nom au milieu de la nuit. Le tanuki prend souvent la forme d’une femme pour attirer dans ses pièges de naïfs jeunes gens, qui ne voient pas, sous sa robe, passer la queue dénonciatrice. Les contes merveilleux qui roulent sur les exploits de ces deux compagnons rempliraient des volumes et sont tellement répandus que, si l’on demande à un Japonais de vous raconter une histoire nationale, il ne manque jamais de commencer par l’un de ces deux héros, plus célèbres que le chat-botté ou l’oiseau bleu. J’analyse ici une de ces fables, qu’on peut lire tout au long dans le recueil qu’en a fait l’auteur anglais Mitford[1].

Un soir qu’une riche famille recevait ses amis, l’entretien vient à tomber sur les renards et leurs exploits. Un des assistans, Tokutaro, un esprit fort, traite ces récits de fables. Défi lancé, pari tenu. Notre homme se met en route vers un bois. Sur la lisière, un

  1. Tales of old Japan, by Mitford, London 1871.