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d’Yeddo? Le bateleur monté sur des tréteaux, assis devant une table, armé d’un énorme claquoir dont il se sert pour marquer des points d’orgue dans son discours, raconte à deux cents auditeurs ébahis ces « merveilles merveilleusement merveilleuses » dont Tabarin régalait les auditeurs de la place Dauphine. Les mêmes légendes dont s’est emparé le théâtre, les sujets des contes populaires, forment le fonds de ces improvisations entremêlées de franches gaillardises qui font pâmer l’auditoire.

L’attrait qu’exerce la parole sur ces demi-Gaulois se manifeste encore mieux dans les conférences publiques, inventées ici bien avant qu’on ne le connût en Europe. Si, en passant devant la porte d’une maison, vous remarquez un grand nombre de chaussures éparses sur le seuil, munies chacune d’une étiquette numérotée, entrez et asseyez-vous au milieu du public principalement masculin qui s’entasse sur les nattes. Ce n’est plus d’un sujet badin ou fabuleux, c’est d’une question de morale, de science ou de philosophie que l’orateur entretient une assistance de marchands et de petits fonctionnaires. On est très sérieux, et, sauf quelques  ! d’acquiescement, le bruit des pipettes secouées sur le brasier interrompt seul le débit du conférencier. C’est une profession, dit-on, assez lucrative et dont l’exercice ne se borne pas à la capitale : on rencontre jusque dans les villages ces missionnaires laïques, colportant les lumières dont la population des campagnes n’est pas moins avide que celle des cités. Ils se partagent cette occupation avec les prédicateurs bouddhistes, dont les sermons roulent exclusivement sur la morale.

Ces derniers attirent surtout des femmes et même des enfans. On peut à Yeddo assister à leurs prônes, annoncés à l’avance à la porte du temple où ils doivent avoir lieu. Assis sans beaucoup d’ordre sur les nattes, les auditeurs commencent par entonner avec les prêtres l’incompréhensible litanie de leur secte; chacun s’établit confortablement pour écouter, toujours la pipe à la main. Le prédicateur paraît, revêtu de ses habits de cérémonie, et disserte d’un ton dégagé sur le catéchisme ou la morale. Son discours prend quelquefois l’allure d’une conversation à laquelle les fidèles ne se mêlent que par le cri de nammida, nammida ! répété avec diverses intonations suivant les exigences de la réplique. « Rien, dit le bonze, n’est plus impur que le corps humain. Le corps se couvre de graisse, les yeux distillent des larmes, etc. Quelle erreur ce serait de regarder comme la perfection du beau une telle ordure ! — Nammida, nammida ! » s’écrie avec contrition une impure pécheresse d’une dizaine d’années. Tant s’en faut que la pensée soit toujours aussi simple et aussi claire. On en peut juger par le passage suivant d’un sermon recueilli à Yeddo.