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disparaît avec force génuflexions. Mangoyémon délie le prisonnier. « Vous êtes mon bienfaiteur, lui dit Djiyé sans lever les yeux. Je ne suis qu’un pauvre homme et ne puis vous rendre tout de suite cette somme; mais dites-moi votre nom et votre adresse afin qu’un jour je puisse m’acquitter. — Mon nom et mon adresse, tu n’as pas besoin de les connaître; mais, si tu veux voir ma figure, lève ta lanterne et regarde-la. — Mon père ! » Ici commence un long sermon sur la conduite immorale du fils, ses désordres, ses dettes et jusqu’à la honte qu’il a eue d’être appelé voleur dans la rue et de perdre son sabre. Et tout cela pour une femme, et quelle femme ! L’aime-t-elle? Mais non, elle est prête à l’abandonner.

Le fils a écouté respectueusement les reproches de son père, mais au nom de celle par qui il se croit trompé il entre en fureur, pénètre dans la maison, accable O’Haré d’injures, la frappe même, et c’est le père qui est obligé de la protéger contre l’emportement du jaloux. Alors commence une de ces scènes favorites du vaudeville japonais, scènes dont la vertu comique réside dans un contraste bizarre entre la nature des sentimens exprimés et la situation de celui qui en est l’interprète. Ce pauvre garçon raconte à son père ses peines amoureuses, lui fait des tableaux que le père ne peut entendre sans rougir ou pleurer; puis il passe aux imprécations contre la malheureuse O’Haré, qui n’a qu’un mot à dire pour le détromper, mais se résigne et se tait. Le rire, la colère et les larmes, le bavardage inopportun de cet amoureux niais et la vertueuse indignation du vieillard donnent naissance à un pathétique bâtard, très recherché des dramaturges. Enfin l’amoureux se déclare tout à fait détaché de l’infidèle et demande à son père de le délier du singulier contrat par lequel il s’est engagé à se tuer avec O’Haré, si elle ne peut être définitivement à lui. Elle possède son engagement écrit, il faut le lui reprendre. Elle résiste, elle voudrait conserver cette relique, et puis l’engagement est caché dans la même ceinture que la lettre de l’épouse abandonnée; elle ne veut montrer ni l’un ni l’autre. Djiyé, aussi furieux maintenant qu’il était tendre deux heures avant, insiste; le père, qui veut en finir, arrache la ceinture et fait tomber la fatale lettre. L’amant jaloux veut la lire, Mangoyémon s’en empare. Que voit-il? Sa bru venait demander à la guécha de lui laisser son mari et de rendre la paix au foyer domestique! C’est pour accéder à cette prière qu’elle a voulu abandonner Djiyé. Il est pénétré d’admiration pour tant de dévoûment; mais il faut à tout prix que Djiyé reste dans l’erreur afin que sa guérison soit complète, et le père s’écrie en déchirant la lettre : « Cette femme te trompait... » Un regard éloquent a dit à la chanteuse qu’il avait tout compris, et qu’il faut subir encore ce dernier sacrifice. Elle baisse silencieusement la tête. Le chœur entonne un court verset qui donne aux acteurs