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un tableau de l’aisance qu’elle trouverait auprès de lui, si elle se laissait convaincre. Elle le repousse durement. Alors s’engage un colloque entre le maître et le serviteur sur ce refus étrange, Kahé, désespérant de se faire aimer, veut du moins se venger par une mordante épigramme; il cherche une guitare. N’en trouvant pas, il saisit en place un balai de chiendent, et, imitant avec les contorsions les plus amusantes les soupirs de l’amoureux et le grincement du shamissen, il entame, accompagné par son koskaï, une chanson moqueuse qui roule sur l’infortuné Djiyé :


« Il était une fois un pauvre papetier, — battu par sa femme; — dans sa maison, on mourait de faim» — tout cela par la faute d’une guécha... »


« Assez, assez! » s’écrie la pauvre fille. — « Encore, encore! » hurle le public. — La chanson est désopilante, et l’habileté de l’acteur à contrefaire les accens criards de la musique japonaise nous montre que leurs propres ridicules n’échappent pas à ces grands sceptiques. De même la platitude des formules de salutation est à chaque instant l’objet d’une amusante parodie. Enfin les deux femmes finissent par perdre patience, et le galant est invité à décamper; mais en se retirant il fera encore un tour de sa façon; il guette à la porte Djiyé, qui ne peut manquer de venir. En effet paraît un homme, la tête enveloppée du capuchon noir que portent, pour n’être pas reconnus, ceux qui se rendent dans les quartiers de plaisir. Nos deux plaisans fondent sur lui, mais au premier assaut il les jette de côté en leur montrant son sabre. Ce n’est pas un marchand comme Kahé, ce n’est pas Djiyé, c’est un homme à deux sabres, un inconnu. « Je devrais, dit-il, vous punir de votre insolence; mais, comme je suis dans un lieu habité, je vous fais grâce. Passez votre chemin. » Ils ne se font pas répéter l’injonction.

À cette clémence insolite, à certains détails de costume et de manières, le public a reconnu que cet homme n’est pas un samouraï, et qu’il doit cacher son nom et sa profession dans quelque secret dessein. Disons tout de suite que c’est le père de Djiyé, qui vient arracher, s’il le peut, son fils à une passion funeste. Il se présente dans la maison de thé comme un samouraï qui veut se reposer et s’amuser. Tout doit s’incliner devant le désir d’un samouraï, et la maîtresse de la maison veut faire danser et chanter O’Haré à la prière de son hôte; mais celle-ci refuse, elle est trop triste. Le personnage mystérieux interroge l’hôtesse sur cette jeune fille revêche; il apprend tout ce qu’il veut savoir. Il ne peut obtenir d’elle que cette réponse : « Quel est le meilleur moyen pour se tuer, le fer ou la corde? » On passe dans la salle voisine pour y verser le thé.