Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/745

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur ce ton, Kudo finit par déclarer à son ennemi qu’il connaît ses projets, mais qu’il est trop bien gardé pour rien craindre, que mieux vaudrait donc y renoncer et entrer à son service. Juro, muet jusque-là, répond qu’il ne peut prendre un tel engagement sans consulter son frère.

bientôt les femmes, lasses d’entendre parler raison, demandent à grand bruit qu’on reprenne les jeux. « Je sais que vous dansez très bien, dit Kudo au fils de Sôga; faites-nous le plaisir de danser. » Vainement l’autre s’excuse. « Je jouerai moi-même du tambourin. » Les deux daïmios saisissent chacun un tambourin en forme de sablier, appelé sudzumi, tandis que Juro exécute une de ces danses symboliques appelées no, sur lesquelles nous aurons occasion de revenir. Il reçoit les complimens de chacun et se retire en promettant d’amener son frère.

Kadjuwara, resté seul avec Kudo, lui fait part de ses inquiétudes. Il a observé la danse que choisissait Juro : c’était celle de Rogêi, un Chinois qui rêva qu’il possédait l’empire pendant cinquante années, et à son réveil se retrouva pauvre et misérable. C’est une allusion au sort qui menace Kudo. Il faut désormais changer de chambre à coucher pour dérouter le fer d’un assassin. Cependant Kudo ne croit plus à ses soupçons, il a endormi par ses promesses la haine des frères Sôga, et, fût-il attaqué chez lui, il est encore trop bien défendu pour rien craindre.

La plaque, tournant sur elle-même, nous fait pénétrer dans l’auberge où logent les deux frères Juro et Goro et leurs serviteurs, Oniwo et Dosa. La pénurie des maîtres est telle qu’ils n’ont pu payer l’aubergiste; celui-ci réclame vainement son argent quand survient Juro, escorté par un des soldats de Kudo en état d’ivresse apparente. « Je pourrai bientôt vous payer, dit notre héros; j’ai obtenu la protection du puissant Kudo, et, grâce à lui, je serai riche.» À ce nom redouté, l’hôtelier s’incline; mais les deux kéraïs ne peuvent contenir leur surprise, et, devant le soldat ivre qui s’est endormi sur le plancher, ils demandent à leur maître l’explication de ce brusque changement. Celui-ci, continuant de feindre, les laisse s’indigner, et, tout en leur promettant de les enrichir à leur tour par le crédit de Kudo, il s’endort. Le soldat se relève alors et court lestement dire à ses chefs ce qu’il vient d’entendre, c’était un espion.

Arrive Goro. Juro lui raconte l’emploi de sa journée et la dissimulation qu’il a dû employer. Tout est prêt pour cette nuit. Les deux serviteurs aux écoutes reconnaissent que leur maître est resté fidèle à sa haine et à son devoir. Ils demandent la grâce de suivre les deux princes à la mort. La scène est très belle et très attendrissante. « Vous avez, disent les deux Sôga, d’autres devoirs à remplir : il faut soutenir la vieillesse de notre mère. — Zenzibos et votre sœur