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accidentée et empierrée de blocs désunis jusqu’à la passe d’Hakoné, véritables Thermopyles, où quelques hommes pourraient arrêter une armée, défendue autrefois par une forteresse dont on voit encore les assises. La beauté du paysage en a fait le site de prédilection des écrivains. C’est là que va se dérouler le drame. Le shiogoun Yoritomo y est venu, suivant l’usage annuel, chasser le cerf dans les montagnes, accompagné de tous les grands de sa cour, parmi lesquels le prince Kudo, jadis le meurtrier de Sôga, et maintenant le premier des généraux, chargé des fonctions de maréchal de camp pour la chasse qui va s’ouvrir. C’est du moins ce que nous apprend un premier colloque entre des valets de Kudo occupés à préparer l’étape où il va passer. Surviennent deux femmes qui questionnent les serviteurs sur l’heure où va arriver la cour. Ce sont des chanteuses de la petite ville voisine qui vont servir d’espions aux héros du drame. L’une d’elles, Tisats, aime sans retour Dosa, l’un des fidèles kéraïs (serviteurs) des jeunes princes de Sôga. Dosa paraît et ne tarde pas à rester seul avec la courtisane. Celle-ci le supplie d’abandonner ses deux maîtres, devenus trop pauvres pour le nourrir, et de jeter les deux sabres, insignes du samouraï, pour se faire marchand ou messager de la poste, afin de pouvoir l’épouser et reprendre sa liberté. Elle se plaint de son indifférence et s’écrie : « Votre froideur a une raison que vous me cachez, mais que je connais. Hier j’ai appris que votre maître Sôga avait une vengeance à poursuivre, et sans doute vous voulez mourir avec lui. — Oui, demain. — Eh bien ! puisque je n’ai plus qu’un jour à vous voir, il faut que je le passe tout entier auprès de vous. » Et elle essaie de l’entraîner ; mais c’est un strict devoir du samouraï de ne pas donner un instant au plaisir, aux joies du foyer, aux distractions les plus innocentes, tant qu’il n’a pas accompli l’œuvre de réparation qu’il poursuit pour lui ou pour son maître. Dosa fait donc une belle résistance, dont la longueur est destinée à nous prouver la force de caractère du kéraï. À bout de ressources, la guécha lui enlève son chapeau et s’enfuit en l’entraînant à sa suite.

Un instant après arrive Oniwo, un autre serviteur, frère de celui qui vient de sortir. Dans un long monologue, il explique ce que le spectateur sait déjà, c’est que les deux fils de Sôga, Goro et Juro, préparent la mort de Kudo, le meurtrier de leur père, en profitant de la chasse qui s’organise. Il a donné rendez-vous à Dosa et s’étonne de ne pas le trouver. Il a peur qu’il n’ait été retardé en chemin par les courtisanes qui encombrent les routes. — Cet étrange accueil que le voyageur, il y a quelques années, rencontrait partout et qu’il rencontre encore quelquefois, était une des énervantes distractions offertes par la politique des shiogouns à une noblesse inoccupée. — Oniwo est interrompu par un chien de chasse qui vient flairer et