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une aventure. Ce serait jeter le pays dans l’inconnu, sans guide, sans direction, — livrer le suffrage universel aux entreprises des partis, à toutes les irritations, à toutes les captations. Ce qui sortirait de ce scrutin, nul ne peut le dire ; rien au monde sans doute ne pourrait empêcher que dans des élections de ce genre tout ne fût mis en question. Ce serait la mêlée de toutes les prétentions, de toutes les passions déchaînées, et il en sera ainsi tant qu’on n’aura pas créé des institutions, un gouvernement précis, doué de ses organes nécessaires. Des esprits prévoyans ont bien pu hésiter encore devant ce péril, devant les chances de cette suprême partie ; mais c’est là précisément ce qui rend d’autant plus pressante, d’autant plus impérieuse cette nécessité d’organisation qui pèse sur l’assemblée, qui s’est récemment présentée à elle sous des formes diverses et devant laquelle elle s’est dérobée. Qu’on ne se méprenne pas sur la réalité de cette situation, telle qu’elle est aujourd’hui, telle qu’elle était hier. La dissolution sans l’organisation préalable est une périlleuse aventure, c’est l’avis de tous ceux qui réfléchissent. À quoi cependant a-t-elle tenu récemment ? À quoi tient désormais l’existence de l’assemblée ? À l’absence de quelques députés, au déplacement de quelques suffrages. La proposition dont M. Léon de Malleville a pris l’initiative a réuni 340 voix, l’assemblée s’est trouvée presque partagée sur la question même de son existence. Sérieusement, est-ce qu’on se figure que cela peut durer ainsi longtemps, qu’il est permis de laisser un pays à la merci d’un déplacement de quelques voix ? Est-il prudent d’exposer la France à un danger, sans l’armer contre ce danger, sans la préparer à une crise où elle peut se voir engagée à l’improviste ? Voilà la vérité. C’est là ce que la majorité de l’assemblée aurait dû se dire, au lieu de se décider si lestement à congédier les affaires sérieuses, au risque de laisser l’opinion sous le poids de cette éternelle et irritante obsession de l’inconnu.

Qu’on ne dise pas que la proposition de M. Casimir Perier était inacceptable, que c’était la proclamation définitive de la république, et qu’on n’en voulait pas. Fort bien, on ne voulait pas de la république, quoiqu’en définitive cette république soit depuis quatre ans un peu partout, sur nos monnaies, dans les lettres de créance de nos ambassadeurs comme sur tous les actes officiels. C’est en vérité assez puéril de tant disputer sur un fait qu’on ne peut détruire, qu’on est obligé de laisser subsister, qu’on reconnaît à chaque instant, ne fût-ce qu’en s’adressant à M. le président de la république ; mais enfin, si l’on ne voulait pas de la proposition de M. Casimir Perier, parce qu’on aurait paru se désavouer ou subir des conditions, rien n’était plus simple ; on n’avait qu’à prendre la proposition de M. de Ventavon et de la commission des trente, ou la proposition de M. Lambert Sainte-Croix, ou la proposition de M. Wallon, qui est venue bientôt après. Il n’y avait que le choix, on aurait du moins ainsi montré quelque bonne volonté, et on n’aurait