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plus qu’elle ne saurait tenir. La science des antiquités celtiques ne faisait que s’ébaucher au commencement du XIXe siècle ; elle a marché depuis à grands pas. Le livre d’Amédée Thierry, bien qu’il fût ou précisément peut-être parce qu’il était une œuvre non pas d’érudition spéciale ni de pure archéologie, mais de savoir général et d’histoire, a tracé à cette science ses véritables cadres et ses justes voies. L’interprétation des textes classiques y sert de principale base, sous la condition nettement déclarée que l’étude des caractères physiologiques, des langues et des monumens doit venir l’éclairer de sa triple lumière. On peut voir quel excellent usage l’auteur a fait de la numismatique gauloise, science alors toute nouvelle. L’érudition critique, l’ethnographie, la philologie comparée, ont fait depuis de rapides progrès, et transformé particulièrement les études celtiques, grâce aux travaux de MM. La Saussaie et de Saulcy, d’Arbois de Jubainville, Gaidoz; le livre d’Amédée Thierry peut être dépassé sur certaines questions particulières, au sujet desquelles l’auteur rencontrerait et accueillerait lui-même d’autres informations aujourd’hui; mais il subsiste comme œuvre historique servant de point de départ à ces études, auxquelles il a montré le vrai chemin après qu’elles s’étaient égarées si étrangement.

Appelé à continuer l’Histoire des Gaulois par l’Histoire de la Gaule pendant la domination romaine, Amédée Thierry se trouvait en présence de ce vaste et puissant organisme de la république et de l’empire, auquel aboutissent toutes les grandes civilisations de l’ancien monde, et qui a enfanté toutes celles de l’Europe moderne. Fidèle aux traditions de l’école historique, non pas seulement à un sentiment de généreuse sympathie, mais à une saine intelligence des voies où s’engage la réalité pratique, il interroge les vaincus. Vaincus de la veille, ne devront-ils pas être comptés dès demain dans l’histoire des vainqueurs, pour peu qu’ils mettent en commun avec de nouveaux maîtres, capables de les transformer, ce qu’ils tiennent en réserve de civilisation propre et d’énergie? C’est le grand mérite de Rome de s’être ouverte au concours de tous les élémens étrangers, de les avoir retenus comme pour une sorte d’incubation féconde, et d’avoir préparé ainsi le plus actif foyer du monde moderne. Amédée Thierry a fort bien distingué deux parties dans cette œuvre. Il y a fallu d’abord une force de compression et une longueur de vue qu’un gouvernement aristocratique, armé pour la conquête, pouvait seul peut-être posséder. Telle a été la tâche de la république romaine, tâche différente de celle qui est échue à l’empire. Pendant cette seconde période, la réduction des vaincus étant définitivement acquise, Rome a rempli cette autre mission de répartir parmi tant de sujets, au détriment de son ancienne aristocratie, l’égalité d’un certain nombre de droits politiques et civils, de manière à élever