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Je soutins sa tête dans ma main. — Paula, lui disais-je, pardonne-moi! — Elle ne répondait plus et essayait de porter à ses lèvres la petite croix du curé, qui récitait des prières à côté. Elle expira un moment après... Mon ami, quand je vis privée de sentiment cette tête adorée, je sentis en moi une mort plus cruelle que celle-là ! — Il y avait auprès de Paula un fusil. Don Joaquin me dit qu’elle lui avait conseillé la première, à l’arrivée des bandits, de s’enfermer dans le clocher. Elle-même pendant deux heures avait tiré sur l’ennemi comme un soldat. Au moment où j’entrais dans le village, une balle l’avait frappée !..

Mes soldats, qui assistaient des larmes dans les yeux à ce trépas horrible, m’aidèrent à descendre du clocher le corps de ma bien-aimée. On la déposa dans l’église; les femmes y vinrent en poussant des cris et des sanglots et la couvrirent de fleurs. Une rage inexprimable me remplissait le cœur : elle déborda quand je sortis sur la place et que je vis devant moi, avec une douzaine des siens, Garmendia prisonnier. Il s’était fourvoyé dans la cour d’une maison où mes soldats, par un prodige, l’avaient désarmé.

Cet homme osa me regarder avec un sourire de vainqueur : il savait peut-être que la mort de Paula le vengeait assez. Je fus sur le point de lui plonger mon couteau dans le cœur. Pourtant cela me parut lâche, et d’abord je donnai l’ordre de fusiller tous les autres prisonniers. Don Joaquin vint à moi et me dit : — Manuel, pour l’âme de ta femme, pardonne à tes ennemis. — Jamais, répondis-je, Sorrondo ne pardonnera. Priez pour eux, si cela vous plaît.

Les prisonniers furent alignés devant le donjon et passés par les armes, Alors je revins vers Garmendia.

— Pour toi, lui dis-je, incendiaire et assassin, je ne trouve qu’un châtiment qui puisse me venger. Tu es un caballero comme moi, tu es noble comme un Basque, je vais te pendre comme un vilain.

Cette fois je vis Garmendia pâlir; mais il était bien garrotté. On le traîna sous un chêne, à la porte du village, et là je le vis pendre. Comme il ne mourait pas tout de suite, j’eus cependant pitié de lui, et je lui fis mettre une balle dans le cœur.

Je jurai d’exterminer sa bande, et j’ai tenu parole. Je les ai poursuivis plusieurs mois : j’en ai pendu ou fusillé plus de trois cents, et ces exécutions me faisaient du bien. Voilà, mon ami, comment je cherchai à venger ma pauvre femme. Mais je n’en voulais qu’aux hommes de Garmendia; je n’ai jamais fait de mal aux quintos[1] hors du champ de bataille. Cependant les pauvres diables avaient une peur terrible de moi : ce sont eux qui m’ont donné ce surnom d’el Matarife, le Boucher, que j’ai porté avec orgueil dans ce temps-là.

  1. On appelle quintos les conscrits, parce que la conscription prend un cinquième des jeunes gens.