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ait été un entremetteur, et la princesse Apraxie une entremetteuse pour marier à un autre la femme d’un mari vivant. » Puis sa colère se tourne contre son perfide frère d’armes; il le terrasse sur le sol pavé de briques et le flagelle si vigoureusement de son bâton de voyage « qu’on ne sait pas s’il crie ou s’il sanglote. »

Les types féminins de perversité sont représentés par Marina et par Maria le Blanc-Cygne. Marina l’enchanteresse, l’hérétique, qui habite à Kief la rue Ignatiévka, est la terreur des mères. Celle de Dobiyna le suppliait instamment, quand il était jeune homme, d’éviter cette rue mal famée : Marina par ses artifices avait fait disparaître huit jeunes guerriers; Dobryna serait le neuvième. Cette fois encore il néglige les avertissemens maternels. Il s’en va dans la rue Ignatiévka et tire une flèche dans les fenêtres de Marina. Ici les chansons présentent de grandes divergences. Tantôt Dobryna, ensorcelé par Marina, est changé en aurochs en compagnie des huit autres jeunes gens déjà métamorphosés, et ne doit son retour à la forme humaine qu’à l’intervention de sa mère. Tantôt il esquive l’effet des maléfices, délivre les jeunes gens et fait une terrible justice de l’enchanteresse. Son aventure rappellerait alors celle d’Ulysse avec Circé. Cette donnée se complique un peu dans la byline de Maria le Blanc-Cygne. C’est une fable fort répandue en Allemagne et dans les pays slaves que celle des jeunes filles qui peuvent à volonté se métamorphoser en cygnes. Maria est sorcière comme Marina et de plus infidèle à son époux légitime. Poursuivie par celui-ci, elle le séduit par de perfides caresses et lui fait boire un breuvage qui le métamorphose en rocher. Rendu à la forme humaine par une miraculeuse intervention, il tombe une seconde fois dans le piège et accepte de l’enchanteresse un breuvage assoupissant. Elle le traite alors plus mal que Brunehilde n’a traité Gunther la nuit de ses noces : elle le crucifie à la muraille au moyen de quatre clous et s’éloigne pour chercher le cinquième, qu’elle lui enfoncera dans le cœur; mais la sœur de Maria survient, admire la beauté du bogatyr, le délivre en lui substituant un vil Tatar, l’emmène dans sa chambre. Là elle le guérit de ses blessures par ses enchantemens, lui fournit des armes pour punir l’infidèle et son ravisseur. Elle devient son épouse en récompense de tant de services.

Les poésies épiques portent l’empreinte de cette primitive barbarie slave dont Nestor parle avec horreur dans son histoire, et dont les chants traditionnels des solennités nuptiales perpétuant encore aujourd’hui le souvenir dans les campagnes russes. Comme les Drévlianes de la chronique, les bogatyrs de Kief préludent toujours au mariage par le rapt. Ainsi la princesse Apraxie est enlevée de force par les envoyés de Vladimir, Maria Dmitriévna par Ivan Godinovitch. Un autre héros, Khotène, fils de Bloud, apprenant qu’on lui a refusé